Journal – 3 septembre

4 septembre 2019 § 2 commentaires § permalien

Le battage du blé noir ou La batterie, Le Pouldu – Paul Sérusier – 1890


   Le reste du chemin à parcourir par l’homme âgé est jonché de cadavres comme autant de fleurs fanées. La mort l’accompagne jusqu’à la ligne d’arrivée, qui est en fait l’ultime départ. 
  J’apprends aujourd’hui le décès d’une femme au visage évanoui. Je l’avais connue alors que nous étions petits enfants. Nous avions elle et moi le même âge et nous jouions ensemble lorsqu’aux vacances d’été nous venions dans le village de nos grands parents.
  Dans la ferme de ma grand-mère maternelle qu’exploitait un couple de métayers, au moment des battages, l’énorme machine à vapeur aux courroies démesurées séparait le grain de l’épi. Un homme sur l’engin juché au bord de la gueule béante du broyeur, l’alimentait des blés moissonnés qu’un autre, arqué sur une remorque accotée, lui jetait en bottes du bout de sa fourche. Du flanc de la machine tonitruante se gonflaient les sacs emplis d’une graine dorée pour le meunier, à l’arrière s’amoncelait la fine écosse éjectée en un geyser ensoleillé, dune sur laquelle, chaque année de nos vacances, nous riions en y grimpant, s’y enfonçant, y roulant nos cabrioles, nous enveloppant d’une fine pelure, son frère, le mien, la fille des fermiers, elle et moi. Puis les battages cessèrent ; fut vendue la ferme. La vie nous sépara.
   Elle s’appelait Margaret. Belle comme le jour, sans doute en fus-je amoureux. À quatre ou cinq ans j’aimais déjà la femme qui se devinait en elle. Je ne l’ai jamais revue, ou peut-être entrevue de loin toujours radieuse. J’eus des nouvelles de sa maladie par une de ses cousines qui m’apprit également sa mort. 
   Mon chemin, de mes six ans où j’embrassais le front glacé de mon grand-père avant d’aller pleurer, caché derrière un meuble, à l’âge qui est le mien aujourd’hui sans avoir pu baiser hier le front de Guillaume, mon chemin fut parsemé d’amours qui ne sont plus, comme autant de grains de blé à moudre pour pétrir mes souvenirs. 
   Avoir la sagesse de Socrate pour qui la mort n’était qu’une étape. 



   Promenade sous le doux soleil de septembre. Avec le chien, de retour assoiffé. Une couple d’heures à ramasser des mûres. Cette année encore les ronces furent garnies mais les fruits, par manque d’eau, sont petits, rabougris parfois, desséchés bien souvent. La cueillette fut maigre. À peine de quoi faire deux tartes. En revanche des myriades de mirabelles nous furent offertes. Confiture et dessert sont au programme. 
   De quoi penser à autre chose.

Michel Serres

2 juin 2019 § Commentaires fermés sur Michel Serres § permalien

La Mort de Socrate – Jacques-Philippe-Joseph de Saint-Quentin – 1762 – École nationale supérieure des beaux arts

     Michel Serres est décédé hier dans la soirée. Le philosophe a rejoint ses pairs. 
     J’ai toujours pensé qu’il avait été officier de marine avant de virer vers la philo. Il n’en est rien. Reçu à l’école navale il démissionna assez vite pour intégrer normale sup. 
     Je n’ai lu qu’un seul de ses bouquins : Petites chroniques du dimanche soir. Recueil de ses dialogues que j’écoutais sur France Info avec Michel Polacco chaque fin de semaine entre février 2006 et mars 2007. 
     Peu lu certes, mais souvent écouté car j’aimais sa voix à l’accent gascon diffusant sa vision du monde, de notre quotidien. Que demander d’ailleurs à un philosophe sinon des réponses simples à nos interrogations et surtout développer cet esprit critique qui manque à beaucoup. 
     Je l’avais aperçu l’autre dimanche à la télévision dans l’émission C Politique. Il paraissait malade. L’âge ! Et l’on se dit, comparant des photos distantes de quelques années, que la vieillesse, la vraie, celle dont on ne se relève pas, vient soudainement. 
     Il s’est donc tu dans un dernier sourire figé. 
     Platon, dans son apologie de Socrate, prête à ce dernier qui se défendait devant ses juges les propos suivants (troisième partie § xxxii) sur la mort qu’il ne craignait pas : s’il s’agit d’un sommeil éternel sans rêve, ce ne peut-être qu’un merveilleux gain, et s’il s’agit de retrouver ceux avec qui dialoguer, Homère, Palamède et d’autres, quel merveilleux passe-temps alors. 
     Désormais Michel Serres aura le choix.

Chemin

Vous regardez dans les mots clés Socrate à Le Plumier.