
Je lis sur un site qui se prétend littéraire, ActuaLitté, mais qui se permet parfois des entorses à la grammaire, que : « Un livre a le même prix partout : Les libraires défendent le prix unique ». Libraires qui s’émeuvent des rabais importants que pratique la Fnac (et d’autres d’ailleurs comme Chapitre) et s’en offusquent. Tout d’abord rien ne leur interdit de pratiquer la même politique commerciale. La loi Lang, cette hérésie sénile, le permet dans des limites parfaitement précisées, notamment celle concernant le rabais de 5% qui désormais n’est plus offert pour les ventes en ligne (sauf à récupérer la commande en magasin, ce qui ne se peut faire pour Amazon), mais sur place, dans la librairie, et certaines ne s’en privent pas en contrepartie d’une adhésion payante (Fnac, par exemple), gratuite (Mollat à Bordeaux) ou sans adhésion (Centres culturels Leclerc, rayon librairie des grandes surfaces). Quant aux autres rabais, encadrés également, ils se justifient pour les invendus par exemple à qui on offre, plutôt que de les envoyer au pilon, une seconde chance de découverte en les soldant. Préférerait-on que ces tonnes de papier fussent détruites ?
Ces marchands de livres, qui se prennent un peu trop pour une élite intellectuelle, se voudraient fonctionnaires, permettant ainsi de pallier l’incapacité dont ils font preuve pour évoluer. Lorsque le moteur à explosion remplaça l’attelage chevalin, disparurent diligences et voitures de poste. Leurs conducteurs s’adaptèrent et devinrent des chauffeurs ou disparurent. Cet exemple peut s’appliquer à bien d’autres métiers et peut-être bientôt à celui de libraire.
En quoi un livre, possiblement remarquable, devrait-il s’apparenter à une œuvre d’art ? Le manuscrit peut l’être, en tant qu’exemplaire unique. Son impression, certainement pas. Et tout comme il y a des reproductions plus ou moins onéreuses d’un tableau, d’une sculpture, il y a des exemplaires d’un bouquin à différents prix, quand le libraire veut bien le commander.
Je pourrais raconter une anecdote concernant mon propre bouquin qu’une lectrice tenta d’acquérir dans les librairies de sa ville. Impossible, lui répondit-on, demandez-le à la Fnac. Ce même bouquin qu’elle obtint enfin par l’intermédiaire d’une parente, dans une autre ville où un libraire moins stupide que ses collègues ne renâcla pas à le commander.
Pas étonnant dès lors que les lecteurs désertent les librairies et par ricochet, la lecture.
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Lorsqu’une société est en déclin elle respecte mieux et rétribue plus ses flics que ses profs car le présent la préoccupe et lui importe au détriment du futur.
Après avoir brillamment soutenu sa thèse de doctorat de biologie générale il y a cinq ans maintenant, l’une de mes nièces, Marine, vient de réussir au concours de l’agrégation » Science de la vie, sciences de la terre et de l’univers « .
Dernièrement j’évoquais le classement de Shanghai en déplorant l’absence récurrente des universités et écoles européennes aux premières places puisque aucune n’y figure dans les vingt premières. Un classement ne signifie rien, mais dans le cas d’un concours comme celui de l’agrégation ou ceux d’entrées dans les grandes écoles, si vous n’atteignez pas l’une des rares places fixées pour obtenir le diplôme ou la sélection espérée, quelles que soient les notes, vous êtes rejeté, oublié. Trois solutions s’offrent alors, en sourire, déprimer ou s’atteler à la tâche pour concourir à nouveau l’année suivante.
Nos établissements se satisfont, semble-t-il, de la première solution.
C’est ignorer que l’enseignement est l’avenir d’une société, d’un pays et que sans cela il végètera dans la médiocrité ou sombrera dans l’océan de l’ignorance.
Or, aux émoluments constatés et que chacun peut découvrir en faisant une recherche sur internet, on comprend pourquoi nos meilleurs professeurs s’expatrient ou s’orientent vers d’autres univers ; d’où la réussite de ces universités américaines qui savent rémunérer à leur juste valeur les professeurs qu’elles recrutent et ces animateurs ou journalistes télé d’un nouveau genre bardés de diplômes, dont des agrégés, qui trouvent dans nos médias nationaux un remède à leur souhait d’une activité respectée.
Pour mémoire, un prof enseignant au MIT (Massachusetts Institute of Technology qui arrive régulièrement premier au classement de Shanghai) gagne en moyenne annuelle 200 000 $ soit environ 177 000 €. En France un prof agrégé, en fac et en fin de carrière, arrivera péniblement et annuellement à 73 000 €. Quant au prof agrégé débutant et terminant sa carrière en lycée, après des années d’un labeur assidu pour apprendre, dominer son sujet et obtenir en fin de galère le sésame espéré, son salaire, en brut, est d’environ 2 350€ à la fin de sa première année d’enseignement (2 099 € bruts les 3 premiers mois) pour terminer vingt ans plus tard à 3 890 €. Ce qui, soit dit en passant, est le salaire le plus bas pour un prof Européen. Quelle espérance !
Si toujours s’épancheront de fins analystes, levant quotidiennement le coude pour autre chose qu’écrire leurs formules sur un tableau noir et n’ayant guère râpé leurs fonds de culotte dans l’impatience de la récré, en trouvant ces salaires conséquents, voire mirobolants, eu égard aux avantages de temps de travail hebdomadaire, aux vacances cumulées et en comparaison avec leurs propres ressources, il est aisé également de comprendre le mécontentement que suscite une pareille grille salariale irrespectueuse du savoir et surtout de la transmission de ce savoir, si tant est que l’on puisse savoir un jour quelque chose comme l’affirmait l’ami Socrate.
Cependant ce ne sont pas aux élèves de ces professeurs, qui font la grève des copies du bac et par ricochet les handicape, de subir et payer une colère légitime.