Les algorithmes et Carlos Ghosn

7 avril 2019 § Commentaires fermés sur Les algorithmes et Carlos Ghosn § permalien


Estampe japonaise-Torture-Yashitoshi
   Les algorithmes nous gouverneront-ils bientôt – si ce n’est déjà ? 
   Dans mon dernier billet, l’autre jour, j’évoquais Octave Mirbeau que j’inscrivis dans les mots clefs facilitant la recherche pour m’apercevoir quelques jours plus tard que le correcteur automatique avait sévi en modifiant autoritairement ce nom qui lui était inconnu. C’est cela un algorithme, un programme informatique destiné à calculer à votre place. Sans intelligence, esprit critique ou de déduction, ce bout de code impose sa terreur mathématique comme au bon vieux temps des révolutionnaires. 
   La correction qui s’ensuivit avait transformé Octave Mirbeau en Octave Mirabeau. Ce qui n’a rien à voir et ne signifie rien car, si Mirabeau exista, jamais il ne se prénomma Octave mais Honoré-Gabriel. Honoré-Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau, révolutionnaire et royaliste à la fois, orateur talentueux, jacobin, créateur du drapeau tricolore, mort à 42 ans des suites vraisemblables d’une jeunesse débauchée, premier panthéonisé puis déplacé en raison de la découverte de ses liens avec la famille royale. 
   C’est lui qui s’écria dans l’assemblée que les députés n’en sortiront que par la force des baïonnettes. 
   Voilà ce à quoi on peut s’attendre lorsque ces suites mathématiques, qui consistent à résoudre les problèmes, verront leurs tâches se généraliser dans la vie quotidienne. Ces bouts de code remplaceront les baïonnettes en étant peut-être tout autant létales. Déjà les réseaux sociaux, Google et autres site de recherche les utilisent larga manu
   Bientôt peut-être la médecine ou la justice. 
   Quand on constate que les procureurs, et particulièrement japonais, qui réfléchissent autant qu’un algorithme programmé pour le résultat, agissent à l’identique d’un radar routier, il est indispensable de s’interroger et de s’inquiéter. 
   Tout acte de contrôle déshumanisé est source d’aberration. 
   Je n’éprouve ni sympathie, ni antipathie pour Carlos Ghosn dont la vie de dirigeant ne devait pas être si délectable que d’aucuns le pensent. Je l’ai vilipendé en son temps lorsqu’il accusa à tort certains de ses collaborateurs d’espionnage industriel. Leurré par son entourage, il ne prit pas le recul nécessaire au jugement et condamna, lui aussi, comme un radar, comme un algorithme. La fin de l’histoire fut plus heureuse pour ceux qui en pâtirent et les dédommagements reçus contribuèrent à l’apaisement. 
   Je lui souhaite un dénouement identique dans l’affaire qui l’emprisonne au Japon où la justice s’apparente à la barbarie plus qu’à l’humanité qu’une civilisation digne de ce nom devrait présenter. Faut-il s’en étonner d’un peuple qui se délecte de lutte éléphantesque et admet, au nom de la tranquillité, la condamnation sans jugement, c’est à dire l’aveu extorqué sous la contrainte ? Voire la torture psychologique et même corporel dans la façon dont les accusés sont traités afin qu’ils avouent, coupables ou non. 
   Rien ne peut justifier un pareil traitement et rappelle le sort des prisonniers de guerre lorsque le Japon ne respectait rien et surtout pas la convention de Genève qu’il ne signa pas. 
   Les crimes commis, tant envers les chinois – qui ne valent guère mieux – que les occidentaux auraient dû mettre ce peuple au ban des nations. Pour l’heure il l’est pour sa justice. Et l’affaire Carlos Ghosn aura eu un mérite, celui de dévoiler la barbarie dont ils sont coutumiers envers leurs semblables.

L’amour selon Dieu, Allah ou les autres

3 avril 2019 § Commentaires fermés sur L’amour selon Dieu, Allah ou les autres § permalien

Mars et Vénus – Louis-Jean-François Lagrénée – 1770
 
 
    L’ambassadeur du Koweït en Autriche est une crapule. Malgré sa bonne bouille de musulman moderne, ce bureaucrate au sourire avenant est un salopard qui porte un prénom qui lui convient : Sadiq. 
 
   Sadiq Mohammad Marafi épousa en 2013 Hind el Achchabi, marocaine et dirigeante d’entreprise, laquelle divorça fin 2014, un an et demi après l’union, avec le consentement du diplomate. Lequel, dix-neuf mois plus tard, soit en juin 2016, porta plainte contre son ex-épouse pour adultère. 
 
   On ne rigole pas avec l’adultère au royaume du Maroc, surtout vis à vis des femmes, ce qui valut trois ans de prison, ramenés à deux, à Hind el Achchabi qui les a intégralement purgés dans la prison de Salé près de Rabat, incarcérée alors qu’elle venait d’accoucher depuis une dizaine de jours de sa seconde fille. Il fait bon vivre sous la dynastie alaouite où l’on juge et condamne ses ressortissantes faussement accusées, de surcroît par des étrangers. Tout juste libérée, la jeune femme risque à nouveau la prison pour une nouvelle affaire. Mais c’est une autre aventure qui n’a rien à voir avec son histoire d’amour. 
 
   Vous me direz que la sentence est bénigne eu égard à celle qu’elle eut encourue dans le sultanat édénique de Brunei si pour son malheur elle y avait vécu. Ici Hassanal Bolkiah, sultan de son état, n’est pas une crapule, c’est un assassin, puisqu’il vient de promulguer la charia en sentence des crimes d’adultère et de rapports sexuels entre hommes. On lapidera donc à partir d’aujourd’hui celles et ceux qui oseront s’aimer en dehors des normes. 
 
    Comme si l’amour pouvait se satisfaire des sentiers battus ! Où que ce soit ! 
 
   Cela me fait songer que les prêtres à qui l’on impose la chasteté ne peuvent qu’y déroger. 
 
   Et l’on s’étonne que certains d’entre eux aient pu apaiser leur désir avec des enfants. Enfants eux-mêmes, à la Michaël Jackson, qui n’ont jamais connu autre chose de l’école au séminaire que la sexualité puérile, ils poursuivent à l’âge adulte leur quête du plaisir. 
 
    Cela ne date pas d’hier. 
 
   Je lis actuellement un roman d’Octave Mirbeau paru en 1890, année où il se rallie à l’anarchisme, roman vraisemblablement autobiographique, tout au moins en partie, Sébastien Roch, ce jeune pensionnaire jeté en pâture par son père aux jésuites d’un collège de Vannes où il sera violé par l’un de ses professeurs, le père de Kern (en réalité Stanislas du Lac, prédicateur et confesseur de l’époque), aussi mielleux, salopard et criminel que l’ambassadeur et le sultan réunis cités plus haut, puisqu’après son forfait commis et le refus de l’enfant de poursuivre cette relation, craignant pour sa respectabilité et son avenir en cas de dénonciation, ce prêtre l’accusera odieusement auprès du recteur du collège d’atteinte à la morale et de comportement dévoyé afin qu’il soit renvoyé de l’établissement. 
 
   De cet épisode, Mirbeau conçut une haine de l’église et du cléricalisme ( » Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! « ), de toutes les religions qui asservissent l’homme. 
 
 Ce roman, dont le héros aux nom et prénom hautement symboliques, renvoie naturellement vers le cardinal Barbarin, condamné en première instance par les hommes mais absous par le pape. Semblable au recteur du collège qui devait connaître la faute de son subordonné et n’agit pas autrement qu’en chassant l’enfant pour préserver l’enseignant, le cardinal devait savoir le crime du prêtre de son diocèse mais se tut. 
 
   Ce roman n’est pas que la narration des crimes qui se perpètrent dans ce silence de mort angoissant des dortoirs, des chapelles, des confessionnaux, des recoins sombres propices aux abus que connaissent écoles – religieuses ou pas d’ailleurs –, colonies de vacances, camps scouts, garderies et autres rassemblements où se côtoient prêtres, pédophiles, prédateurs et enfants. Abusés, laminés, ces adolescents ne sont pas même soutenus par leur famille, à l’instar de Sébastien Roch rejeté par son père déifiant les jésuites. Ce roman est aussi le procès d’une société. 
 
   Il ne connut guère le succès ; pire, il fut mis sous le boisseau, comme il est dit et pourtant déconseillé dans l’évangile, et préluda à la conspiration du silence que subit Mirbeau pour son œuvre, plaidoyer pour une éducation libre, critique, débarrassée des scories religieuses afin que l’enfant s’épanouisse harmonieusement. Quels que soient les dieux vénérés. 
 
   Nous en sommes encore loin.

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