Morts au Mali

27 novembre 2019 § 2 commentaires § permalien

Les 13 militaires français morts mardi au Mali (de gauche à droite) : MDL Valentin Duval, LTN Pierre Bockel, ADC Julien Carrette, CNE Romain Chomel de Jarnieu, CNE Benjamin Gireud, MCH Jérémy Leusie, SCH Andrei Jouk, MDL Antoine Serre, BCH Romain Salles de Saint-Paul, MCH Alexandre Protin, LTN Alex Morisse, CNE Nicolas Megard, CNE Clément Frison-Roche. Ministère des Armées.

     Treize soldats sont tombés hier au Mali. Je pense à ces familles qui vécurent les mêmes affres que nous à l’annonce de leur mort. Cette cataracte glacée qui nous submerge soudain, nous enveloppe, noie notre raison, quand, après les coups discrets à la porte d’entrée, pénètrent dans la maison ceux qui viennent, sans trop savoir comment, nous informer du pire. Alors taisez-vous, vous qui, députés soumis à un pacifisme utopique, racolez vos électeurs, vous qui, les corps pas même encore rapatriés, demandez, à l’abri des ors du Palais Bourbon, le retrait de ces soldats et ce qu’ils allaient faire là-bas. Leur métier, vous répondrai-je. Et, comme je l’ai par ailleurs écrit, nos armées n’étant plus conquérantes mais défensives, appelées par d’autres peuples pour les protéger, puisqu’elles existent nécessairement, plongés que nous sommes dans un monde incertain, redoutable, menaçant, elles acquièrent sur ces terres lointaines non seulement leurs lettres de noblesse, mais surtout l’endurance, l’exercice indispensable, l’expérience douloureuse, afin de n’être pas armées d’opérette comme vous aimeriez sans doute qu’elles devinssent inéluctablement en restant cantonnées dans leurs casernes ou leurs bases.
     Que ces soldats reposent en paix.

Tombouctou

3 février 2013 § 2 commentaires § permalien

tombouctou

Tombouctou m’a toujours fait rêver. Cela remonte à la lecture, lorsque j’étais à peine adolescent, du récit de voyage de René Caillié. Bien que certains aient émis des doutes quant à la réalité de son périple tant il était peu croyable qu’un chrétien ait pu atteindre sans périr, puisqu’interdit, ce haut lieu musulman au cœur du Sahel, léché par le Niger, il est avéré qu’il y parvint et fut déçu par la banalité du site et son état architectural délabré. Son retour, malade, atteint de scorbut et sa mort prématurée à l’âge de trente neuf ans, l’attestent. Vous me rétorquerez avec raison qu’on peut aussi mourir de maladie sans jamais avoir dépassé le seuil de sa porte, le corps humain étant un champ de bataille perpétuel où bactéries et virus livrent d’incessantes guérillas à des défenses immunitaires régulièrement en alerte. Le plus souvent ces forces loyalistes l’emportent mais il arrive parfois qu’elles se laissent déborder par manque de préparation. Quoi qu’il en soit, ces ennemis de la santé, par leur renouvellement continu malgré l’éradication de quelques uns, ont toujours le dernier mot et c’est pourquoi l’Homme est une charogne en instance; « tout organisme vivant, menacé qu’il est par tous les microbes de l’environnement, et surtout ses propres germes intestinaux, n’est jamais qu’en sursis de putréfaction »*. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour déclarer forfait tant il est nécessaire d’œuvrer pour la postérité. Trêve, armistice ou médication ne sont que pauses ou convalescence afin de mieux repartir au combat car il y a plus de violence et d’agressions sur ou sous un cm² de peau que sur l’étendue d’un champ de bataille.

 

C’est sans doute aussi pourquoi la guerre est inhérente à nos sociétés. En quelque sorte elle fait partie de notre patrimoine, soit par héritage, soit par contamination et les pacifistes sont de doux rêveurs se droguant au placébo de l’utopie. Tant que subsisteront deux individus sur cette terre, un jour ou l’autre ils se déchireront, l’un étant, en alternance, la bactérie de l’autre.

 

Mais revenons à Tombouctou, formule toute littéraire puisque la majorité d’entre nous n’y a jamais traîné ses babouches. Encore peut-on se poser la question de savoir si babouches il y a là-bas, puisque Touaregs, Arabes, Berbères, Sonraï… s’y croisent. En tout cas rangers il y avait aux pieds de ces soldats qui sans coup férir boutèrent hors des mosquées les fanatiques qui terrorisaient les vrais fidèles en multipliant les exactions, tant sur les humains que sur le patrimoine architectural et littéraire. À regarder les images de liesse accompagnant cette libération, on ne peut douter du bien-fondé de l’intervention. Il n’y aura que les esprits chagrins pour le regretter ou émettre des réserves. Car enfin, que fallait-il faire? Lorsque le cancer ronge, la chimiothérapie ne s’embarrasse pas de métaphysique ou d’analyses politiques, elle éradique large, même si les frappes, de nos jours, tendent vers une précision la plus fine possible, ciblant les cellules malsaines mais ne pouvant malheureusement éviter celles qui les jouxtent par hasard.

 

Ici, je ressens la nécessité de faire une pause, la relecture de ces mots, qui ne sont que constatation et non apologie de la guerre mais d’où émane une violence terrifiante, réveillant cet appel à la douceur qui prédomine en mon esprit. Si aucunement je ne souhaite le combat, réclamant par goût, par penchant, par philosophie, la paix, la sérénité, en aucun cas je ne puis tolérer l’agression et, si ne puis me défendre seul, espère en l’aide de celui qui partage mon rêve. Ne pas être le loup n’implique nullement d’être le mouton. Or n’être ni l’un ni l’autre nécessite l’élaboration d’une protection juste, rassurante. C’est ce qu’élabora la société des hommes depuis l’origine, des cités de jadis ceintes de palissades ou de murs aux corps constitués d’aujourd’hui, contrôlés, régis, gouvernés et armés, mais également jusqu’aux alliances constituées. En vertu de ce principe il était normal que, face au danger, le gouvernement malien —et peu importe sa tendance, cela relevant de ses affaires internes— fît appel à la France et que cette dernière y répondît.
Le reste, ensuite, n’est que convalescence dont la longueur dépend des forces à reconstituer et des plaies à panser.

 

L’essentiel étant désormais que Tombouctou demeure libre et le reste pour le bonheur de ceux dont la vie y est ancrée ou de ceux qui viennent la partager avec le même souci de découverte humaniste qui mena René Caillié, en 1828, au cœur de la cité coranique.

 

* R. Fasquelle et J.M. Huraux – Pathologie générale – Microbiologie – Encyclopédie de la Pléiade – Médecine T.1

Photo : Plan de Tombouctou par R.Caillié; illustration tirée du livre « Tombouctou » édité par le comité de jumelage Saintes-Tombouctou

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