24 avril 2019 § Commentaires fermés sur Tranches de vie § permalien

Un enterrement à Ornans – Gustave Courbet – 1849-1850 – Musée d’Orsay
L’autre jour, 13 h 15, une voix de jeune femme, au débit rapide et à l’accent étranger, me racole familièrement au téléphone : » Bonjour, monsieur Patrick je vous appelle de la part de monsieur Fabrice, astrologue… «
Je raccroche sans lui laisser le temps de terminer son argumentaire après lui avoir signifié que cela ne m’intéressait pas.
Un astrologue maintenant ! pestai-je in petto après m’être déplacé inutilement lorsque l’intempestive sonnerie écourta ma sieste quotidienne.
Impossible de reprendre ce farniente interrompu, la pensée en éveil me projetant quelques années en arrière, du temps où une voyante, qui réclamait chaque mois son dû en échange de platitudes distillées astucieusement, bernait ma mère, à l’esprit déjà affaibli, que nous ne pouvions, fratrie réunie, convaincre d’en cesser l’abonnement.
Suis-je donc parvenu à cet âge où l’avenir se rétrécissant réclame sa potion de certitude rassurante ? La sénilité est-elle en marche que déjà les vautours se pressent autour d’un Prométhée vieillissant ? Les connexions au monde virtuel permettent ces intrusions au cœur d’une réalité quotidienne. Désormais nous ne pouvons plus passer inaperçus.
Tout autant que chez le pharmacien, cet épicier de luxe, qui me facture ce matin en supplément d’un médicament des honoraires liés tout d’abord au conseil, puis au remboursement du produit et enfin… à l’âge du patient ! Plus de deux euros, soit près de 20 % du prix fixé, dont une partie sera prise en charge par la sécurité sociale. Il y aurait là une évidente économie à réaliser en supprimant ce qui me paraît n’être qu’une vaste escroquerie légalisée car, muni d’une ordonnance délivrée par mon médecin, je ne vois pas en quoi le potard de service peut m’être utile autrement qu’en me délivrant avec le sourire la spécialité sur laquelle son bénéfice est de 33% environ.
Hier, enterrement. Cérémonie dans la petite église romane du village. Trop de monde pour y pénétrer. Je reste sur le parvis, qui est un grand mot pour l’intimité du lieu, parapluie en main sous la pluie compatissante aux larmes des proches. Il me permet d’abriter une femme que l’émotion ou une baisse de tension fait sortir de la nef, aidée par son mari (alors que j’écris ces mots, radio Chopin, une de ces innombrables radios internet que j’écoute en alternance, diffuse la marche funèbre du compositeur ; coïncidence amusante, si l’on peut dire).
Quelques visages me sont familiers. La majorité d’entre eux a revêtu le costume de circonstance qui dormait dans la penderie. Tous ont sans doute la même préoccupation, récurrente aux mêmes cérémonies : à chacun son tour ! Ils attendent dans la naphtaline.
Je marche autour du bâtiment, parcours le vieux cimetière désaffecté qui dort par derrière. J’aimerais y reposer plus tard tant tout y est sérénité entre les tombes de pierre émergeant de l’herbe verte.
Sur le monument aux morts qui jouxte l’église, une plaque de marbre aura tari mes larmes et me rappelle l’inanité des choses : le nom de l’un de mes fils y est gravé.
Prenez soin de vous et rappelez-vous que » vanitas, vanitatum et omnia vanitas «
10 février 2019 § Commentaires fermés sur Deux anecdotes manichéennes § permalien
Désœuvré l’autre jour, je feuilletais les pages virtuelles qu’offre internet. Outil fantastique à qui sait le dominer sans s’abandonner à l’accoutumance telle une drogue. Nous avions autrefois et encore la télévision dans les images de laquelle beaucoup se sont noyés. À chaque époque les inventions, les progrès ont su jouer ces rôles de succédanés d’existence où des générations se sont perdues alors que d’autres ont su y trouver les chemins menant vers de nouveaux horizons.
Il ne peut en être autrement, l’intelligence humaine étant duale, partie progressiste, partie réactionnaire.
Naviguant donc sur cette mer où derrière chaque vague scintillent de multiples perles, alors que je ne cherchais rien, faisant preuve ainsi de sérendipité, je tombais sur les premiers numéros du journal Détective. Les premières parutions datent de 1928, désormais numérisées par la BiLiPo, établissement dédié aux littératures policières.
Deux entrefilets captèrent mon attention.
Le premier, dans le numéro 1 du 1er novembre 1928, rapportait l’exécution dans la cour de la Santé d’un nommé Charrier qu’assistait l’aumônier qui gémissait, sanglotait en priant pour le condamné qui lui répondit que ça n’en valait pas la peine. À peine la tête roulait-elle dans le panier que l’aumônier, se séchant les yeux, se tourna vers les journalistes leur demandant, dans leurs comptes rendus, de ne pas estropier son nom qui s’écrivait avec deux » s « .
Étonnant qu’un homme de Dieu puisse s’émouvoir de son nom écorché plus que de voir son prochain coupé en deux. Ce devait pourtant être une âme charitable et compatissante comme le recommande la religion qu’il était censé représenter.
Le second, dans le numéro 9 de décembre de la même année, relatait le dilemme d’un juge d’instruction du tribunal de Versailles qui, après avoir fait écrouer une femme ayant avoué plus de trois cents avortements, n’osa aller plus avant dans ses investigations, non tant par crainte de manquer de place dans la salle d’audience d’un tel procès éventuel, mais tout bonnement parce que les clientes de la matrone (au sens ancien de sage-femme) étaient issues de la haute couture parisienne ainsi que du monde artistique, certaines étant les plus grandes vedettes théâtrales du moment.
Le juge Roussel fit-il preuve de compréhension pour les unes et d’aucune compassion pour l’autre ? ou avoua-t-il ainsi son impuissance à juger ? Je penche volontiers pour la première hypothèse.
Je me disais que si les temps malgré tout transmutent, progressent, l’âme, ou l’esprit, ne connaît guère le changement et demeure étrangement imperméable à toute évolution.
À moins qu’on ne l’y oblige par la loi. Ce que certains prétextent pour se donner les raisons de manifester une opposition surannée, cependant dangereuse dans son manichéisme primaire.
26 avril 2017 § Commentaires fermés sur Internet, mur du lamentable § permalien

Rodin – Le Penseur
Toute critique est non seulement utile mais nécessaire, à condition qu’elle soit constructive. Elle permet dialogue et amélioration si ce n’est conviction.
Mais à lire celles qui envahissent internet à l’occasion de cette élection présidentielle, nous amène à nous interroger sur l’état de santé mentale de nombreux commentateurs.
De la vulgarité au mensonge, de la scatologie aux rumeurs infondées, de la méchanceté gratuite à la haine pure et simple, tout y passe. C’est effarant !
On accuse la presse, les médias, d’en rajouter. Ils informent, c’est tout, même si l’on peut regretter que certains reprennent un système en vogue au XIXe siècle, le feuilleton, afin d’appâter le lecteur pour vendre leur prose, la plupart, si ce n’est la majorité, se bornent à décrire les faits. Les autres désinforment.
En réalité nous croyons que les réseaux, dits sociaux mais que nous qualifierons plutôt de défoulement, sont les acteurs premiers de ce vaste café du commerce où s’activent tous ceux qui n’ont rien à dire, mais le disent, heureux qu’ils sont d’épancher leur mal-être. Nous n’y sommes pas opposés, loin de là, mais faudrait-il encore que le discours s’accompagnât de tout ce qui justifie le dialogue, c’est à dire la pertinence du propos, le respect de l’autre, la justesse de l’expression, le style et l’orthographe ou encore l’esprit critique. Or, nous constatons que si chacun se pense politologue avisé ou fin polémiste, il n’y a guère de P.L. Courier ou de Jules Vallès parmi eux. Pour tout dire il n’y a plus, aujourd’hui, de véritables pamphlétaires ; uniquement de tristes bouffons qui ne savent vomir qu’invective, médisance, calomnie ou diffamation.
Sur ce mur des lamentations, ou du lamentable, qu’est devenu internet, nous n’y détectons que plainte égoïste, clabauderie, insanité, vacuité. Reflet enfin d’une société de l’immédiateté inepte.
Avant de s’exprimer, il serait bon que chacun sût pourpenser.