Tombouctou

3 février 2013 § 2 commentaires § permalien

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Tombouctou m’a toujours fait rêver. Cela remonte à la lecture, lorsque j’étais à peine adolescent, du récit de voyage de René Caillié. Bien que certains aient émis des doutes quant à la réalité de son périple tant il était peu croyable qu’un chrétien ait pu atteindre sans périr, puisqu’interdit, ce haut lieu musulman au cœur du Sahel, léché par le Niger, il est avéré qu’il y parvint et fut déçu par la banalité du site et son état architectural délabré. Son retour, malade, atteint de scorbut et sa mort prématurée à l’âge de trente neuf ans, l’attestent. Vous me rétorquerez avec raison qu’on peut aussi mourir de maladie sans jamais avoir dépassé le seuil de sa porte, le corps humain étant un champ de bataille perpétuel où bactéries et virus livrent d’incessantes guérillas à des défenses immunitaires régulièrement en alerte. Le plus souvent ces forces loyalistes l’emportent mais il arrive parfois qu’elles se laissent déborder par manque de préparation. Quoi qu’il en soit, ces ennemis de la santé, par leur renouvellement continu malgré l’éradication de quelques uns, ont toujours le dernier mot et c’est pourquoi l’Homme est une charogne en instance; « tout organisme vivant, menacé qu’il est par tous les microbes de l’environnement, et surtout ses propres germes intestinaux, n’est jamais qu’en sursis de putréfaction »*. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour déclarer forfait tant il est nécessaire d’œuvrer pour la postérité. Trêve, armistice ou médication ne sont que pauses ou convalescence afin de mieux repartir au combat car il y a plus de violence et d’agressions sur ou sous un cm² de peau que sur l’étendue d’un champ de bataille.

 

C’est sans doute aussi pourquoi la guerre est inhérente à nos sociétés. En quelque sorte elle fait partie de notre patrimoine, soit par héritage, soit par contamination et les pacifistes sont de doux rêveurs se droguant au placébo de l’utopie. Tant que subsisteront deux individus sur cette terre, un jour ou l’autre ils se déchireront, l’un étant, en alternance, la bactérie de l’autre.

 

Mais revenons à Tombouctou, formule toute littéraire puisque la majorité d’entre nous n’y a jamais traîné ses babouches. Encore peut-on se poser la question de savoir si babouches il y a là-bas, puisque Touaregs, Arabes, Berbères, Sonraï… s’y croisent. En tout cas rangers il y avait aux pieds de ces soldats qui sans coup férir boutèrent hors des mosquées les fanatiques qui terrorisaient les vrais fidèles en multipliant les exactions, tant sur les humains que sur le patrimoine architectural et littéraire. À regarder les images de liesse accompagnant cette libération, on ne peut douter du bien-fondé de l’intervention. Il n’y aura que les esprits chagrins pour le regretter ou émettre des réserves. Car enfin, que fallait-il faire? Lorsque le cancer ronge, la chimiothérapie ne s’embarrasse pas de métaphysique ou d’analyses politiques, elle éradique large, même si les frappes, de nos jours, tendent vers une précision la plus fine possible, ciblant les cellules malsaines mais ne pouvant malheureusement éviter celles qui les jouxtent par hasard.

 

Ici, je ressens la nécessité de faire une pause, la relecture de ces mots, qui ne sont que constatation et non apologie de la guerre mais d’où émane une violence terrifiante, réveillant cet appel à la douceur qui prédomine en mon esprit. Si aucunement je ne souhaite le combat, réclamant par goût, par penchant, par philosophie, la paix, la sérénité, en aucun cas je ne puis tolérer l’agression et, si ne puis me défendre seul, espère en l’aide de celui qui partage mon rêve. Ne pas être le loup n’implique nullement d’être le mouton. Or n’être ni l’un ni l’autre nécessite l’élaboration d’une protection juste, rassurante. C’est ce qu’élabora la société des hommes depuis l’origine, des cités de jadis ceintes de palissades ou de murs aux corps constitués d’aujourd’hui, contrôlés, régis, gouvernés et armés, mais également jusqu’aux alliances constituées. En vertu de ce principe il était normal que, face au danger, le gouvernement malien —et peu importe sa tendance, cela relevant de ses affaires internes— fît appel à la France et que cette dernière y répondît.
Le reste, ensuite, n’est que convalescence dont la longueur dépend des forces à reconstituer et des plaies à panser.

 

L’essentiel étant désormais que Tombouctou demeure libre et le reste pour le bonheur de ceux dont la vie y est ancrée ou de ceux qui viennent la partager avec le même souci de découverte humaniste qui mena René Caillié, en 1828, au cœur de la cité coranique.

 

* R. Fasquelle et J.M. Huraux – Pathologie générale – Microbiologie – Encyclopédie de la Pléiade – Médecine T.1

Photo : Plan de Tombouctou par R.Caillié; illustration tirée du livre « Tombouctou » édité par le comité de jumelage Saintes-Tombouctou

Sarkozy, rabot de la république

9 avril 2012 § Commentaires fermés sur Sarkozy, rabot de la république § permalien

La liberté se cadenasse, l’égalité se distend et la fraternité s’évapore. Ce n’est pas une découverte, mais hier soir me prit la nécessité de faire l’inventaire. J’ai rempli des pages et grillé quelques cigarettes; c’est effrayant. Mais je vous en ferai grâce, le résumant en bas de page.

Il faut donc se rendre à l’évidence, le règne de Sarkozy, en dehors de toute polémiques liées aux difficultés financières qui ne sont qu’un prétexte supplémentaire à raboter le reste, fut, et demeurera dans les mémoires, celui le plus attentatoire à l’image de la France, à ses concepts égalitaires, son principe de liberté et sa vocation à la fraternité.

Nul autre que lui n’aura, avec une telle constance, terni la devise qui s’affiche aux frontons de nos mairies, gravée en lettre de sang par ceux qui luttèrent pour qu’elle s’appliquât sans restriction.

Une société ne peut survivre sans ordre, mais entre l’ordre tyrannique et le laisser-aller anarchique il y a tout le camaïeu de la vie dont notre pays, mises à part quelques périodes sombres de son histoire, a toujours su dessiner et peindre les nuances pour l’admiration et l’envie d’autres peuples moins favorisés, plus divisés.

Si l’on en croit l’épouvante de saint Jérome dans sa lettre à une veuve, on peut dater l’émergence de la France  un jour de l’hiver 407 alors que les glaces, figeant le Rhin, permirent aux peuple barbares de pénétrer massivement dans la Gaule romaine. Burgondes, Wisigoths, Francs, Alamans, Alains, Saxons et d’autres vinrent occuper les Gaules de Reims à l’Aquitaine, d’Arras à la Narbonnaise. Rome encore administrait son empire, mais quelque quatre vingts ans plus tard Clovis se faisait sacrer roi. Chef d’une petite tribu de guerriers Francs il devenait le premier roi d’une entité politique de laquelle tous ses successeurs allaient se réclamer, le Royaume des Francs, Regnum Francorum(1).

Or, si cette invasion fut vécue tragiquement par quelques uns, elle ne fut que le début d’un mixage de ces peuples ; l’acculturation s’opérait et se poursuivit jusqu’à nos jours pour ce vivre ensemble harmonieux qui est notre caractéristique.

La France, extrémité de cet entonnoir qu’est l’Europe ne pouvait échapper au destin de faire d’elle le creuset où viendraient se fondre les tribus, les clans, les ethnies aux mœurs, aux coutumes, aux religions si multiples pour créer ce peuple unique aux particularismes si étonnamment disparates et devenir si profondément semblables à mesure de l’assimilation. A l’image peut-être de ses paysages qui font de notre pays le reflet en miniature de tout ce qui existe sur Terre.

Il n’est pas un pays au monde où une telle diversité ait une cohérence aussi totale(2).

Aujourd’hui, alors que la France inéluctablement se fondra dans cette autre entité politique qu’est l’Europe et qu’elle devrait, par son histoire, montrer le chemin à suivre, elle se replie, se recroqueville dans le rejet, la défiance, le mensonge, la peur, l’injustice.

Sarkozy n’aura su qu’être le rabot de la République.

Car ici ce sont des journalistes qu’on harcèlent ou qu’on met en examen pour avoir dévoiler des exactions politiciennes(3).

Là ce sont des fichiers que l’on crée pour répertorier ceux qui auraient l’outrecuidance de contester(4).

Nos routes qui se parsèment de robots sans tolérance, évinçant le jugement de l’homme; nos villes qui s’ornent de caméras, totalement inefficaces, mais espionnant tout un chacun.

C’est le procureur Courroye dont on annule la décision de mise en examen, pour entorse à la procédure(5).

Ce sont les prisons surpeuplées. Les garde à vue injustifiées.

Ailleurs ce sont les familles, quand elles ne sont pas éclatées, qu’on renvoie par charter.

Les banlieues abandonnées qu’on veut traiter au Karcher mais qu’on se garde bien de visiter.

Les chômeurs qu’on accuse d’entretenir le chômage par leur passivité(6) et dont on rabote les maigres ressources.

Les salariés aux émoluments de misère qui vivent dans leur voiture faute de pouvoir se loger.

Les sans-abris qu’on éjecte des immeubles, dont on détruit les campements.

Les nantis dont on amplifie les privilèges.

Les étudiants étrangers qu’on expulse par circulaire grâce à la circulaire Guéant(7). Les préfets qui se permettent de demander des comptes lors du recrutement d’un violoniste virtuose à Angers(8).

Là encore c’est une partie de la population qu’on stigmatise, musulmans, roms…

Des arrestations arbitraires, pour le «fun», quitte à relâcher ensuite.

Des parents que l’on rend coupables des erreurs de leurs enfants. Etc. Etc.

Il n’est pas un jour sans qu’une nouvelle loi, aussi farfelue que l’idée qui la fit éclore, ne vienne raboter un peu plus les valeurs qui firent notre pays.

Quant à l’image diplomatique de la France, écoutez ce qu’en disent ces journalistes dans l’émission de Pierre Weill sur France inter(9). Pauvre Kouchner — que je ne plains pas — en a-t-il dû avaler des couleuvres ! Et Juppé aujourd’hui, se laisse-t-il rabaisser comme J.D. Lévite ?

Quand on ne respecte même pas ses propres collaborateurs, comment peut-on croire qu’on respectera ses administrés ? Se respecte-t-on soi-même, d’ailleurs ?

La liste n’est pas exhaustive et il faudrait d’autres pages pour énumérer ces entorses à la démocratie ; alors, pour paraphraser le dédain que le candidat de la continuité exprima dernièrement lors d’un meeting à propos de son seul concurrent, nous conclurons par cette question, fondamentale désormais,  » et ça voudrait encore gouverner cinq années ? « 

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