
Qui se souvient de Zappy Max ? Le 16 juin dernier l’animateur radio de, entre autres, » Ça va bouillir » et de » Quitte ou double » est décédé à la veille de ses 98 ans.
L’information m’est passée totalement inaperçue. Il avait exactement l’âge de mes parents, c’est dire si sa voix nasillarde accompagna mon enfance lorsque nous l’écoutions au moment des repas fin des années cinquante sur les premiers transistors. C’est lui qui animait l’émission au cours de laquelle l’abbé Pierre remporta une somme rondelette pour les pauvres.
Il est impossible de se remémorer l’intonation d’une voix; nul ne se souvient de la voix de Louis XIV ou de Napoléon, et pour cause, alors que leur visage nous sont familiers grâce aux portraits qu’en firent d’eux les peintres de l’époque. Avec la technologie développée par Thomas Edison et que symbolise le petit fox de Pathé-Marconi, il eût été possible de les enregistrer et d’en restituer les accents. Ainsi que pour nos proches, et si nous ne le faisons le temps efface à jamais cette singularité de l’individu. Tentez de vous souvenir de la voix de ceux qui vous furent chers, de vos grands parents, voire de vos parents; mission impossible. Les brumes de l’oubli les balayent de nos mémoires.
La voix cependant est capitale dans l’intérêt qu’on porte à celui ou celle que nous côtoyons. Un orateur ne peut qu’avoir des intonations qui nous bouleversent, nous passionnent, nous sensibilisent, sinon son discours a des chances d’être un vague bruit dans le désert. Les dictateurs le savent bien qui en jouent. Tout comme les politiques. Les mots d’amour ne le sont vraiment qu’avec un registre qui fait battre le cœur, ceux de la colère ou de la réprimande qu’avec celui de la peur, et ceux du commandement qu’avec celui de la soumission, de l’enjôlement. Tallemant, à propos d’un comédien de son époque, le précise : » Jodelet parle du nez, pour avoir été mal pansé de la vérolle, et cela lui donne de la grâce « . Fumer modifia la voix de Jeanne Moreau lui apportant ce grave presqu’inoubliable. Je n’ai jamais enregistré la voix de mes proches, de mes fils, et je le regrette.
J’en parlais avant-hier, à propos de l’éducation. Même les élèves se révoltent. On croit rêver. À-t-on jamais vu apprenti dicter à son précepteur ? Le chef d’œuvre serait de belle facture si les compagnons du devoir renâclaient de même, contestaient la voix de leurs maîtres.
Les lycéens qui passaient leur bac de français se sentent humiliés. Ceux des séries S et ES. Les meilleurs. À cause qu’ils jugent l’épreuve trop difficile. Le sujet en était un commentaire de texte sur un poème d’Andrée Chedid.
Ces jeunes écervelés ne savent-ils pas qu’il faut prendre son temps pour lire la question, l’analyser un bon quart d’heure avant d’y répondre ? Ce faisant ils auraient constaté que l’écrivain est une femme et non un homme comme certains furent surpris de le découvrir ensuite. Pourtant, avec cette manie de tout féminiser dont on voit bien que c’est un peu stupide, ils eussent pu le deviner rien qu’à la voyelle finale du prénom. Enfin, disserter sur » L’écriture poétique et quête de sens, du moyen âge à nos jours « , ne me semble pas être d’une difficulté insurmontable à des élèves dont l’âge les porte à rimer et s’épancher sur leurs peines et leurs joies. Ils ont tout de même bien lu quelques chansons de geste, puis des tirades, des sonnets et autres quatrains, écouter les chansons de Louis Chedid ou de Matthieu son fils (et petit-fils d’Andrée) et enfin s’exalter sur des textes de RAP à défaut d’avoir lu Sabine Sicaud, Francis Ponge, Thierry Metz, Bernard Noël et bien d’autres. Rien qu’avec ça on peut écrire une dizaine de pages. Et ne pas paraître plus stupides qu’on est.
Il est quand même remarquable qu’à notre époque on s’émeuve continuellement pour des fadaises et que la moindre difficulté, ou le simple rejet, la mauvaise volonté, enchaîne une kyrielle de pétitions.
Car on pétitionne à tout va, et on l’exige, comme on mendie sans scrupule sur les sites internet idoines. Dans l’espoir de voir fleurir des référendums, d’obtenir satisfaction, de modifier ce qui ne nous convient pas, acquérir plus que nous avons. C’est la porte ouverte à tous les abus. La politique participative est une absurdité qui débouche sur le dépérissement de la pensée, la décadence, le reniement des valeurs. » …est-ce l’opinion du grand nombre que nous devons suivre et craindre, ou celle du seul juge compétent, s’il en est un ? « répond Socrate à son ami Criton l’enjoignant de s’évader après sa condamnation à mort.