
Un enterrement à Ornans – Gustave Courbet – 1849-1850 – Musée d’Orsay
L’autre jour, 13 h 15, une voix de jeune femme, au débit rapide et à l’accent étranger, me racole familièrement au téléphone : » Bonjour, monsieur Patrick je vous appelle de la part de monsieur Fabrice, astrologue… «
Je raccroche sans lui laisser le temps de terminer son argumentaire après lui avoir signifié que cela ne m’intéressait pas.
Un astrologue maintenant ! pestai-je in petto après m’être déplacé inutilement lorsque l’intempestive sonnerie écourta ma sieste quotidienne.
Impossible de reprendre ce farniente interrompu, la pensée en éveil me projetant quelques années en arrière, du temps où une voyante, qui réclamait chaque mois son dû en échange de platitudes distillées astucieusement, bernait ma mère, à l’esprit déjà affaibli, que nous ne pouvions, fratrie réunie, convaincre d’en cesser l’abonnement.
Suis-je donc parvenu à cet âge où l’avenir se rétrécissant réclame sa potion de certitude rassurante ? La sénilité est-elle en marche que déjà les vautours se pressent autour d’un Prométhée vieillissant ? Les connexions au monde virtuel permettent ces intrusions au cœur d’une réalité quotidienne. Désormais nous ne pouvons plus passer inaperçus.
Tout autant que chez le pharmacien, cet épicier de luxe, qui me facture ce matin en supplément d’un médicament des honoraires liés tout d’abord au conseil, puis au remboursement du produit et enfin… à l’âge du patient ! Plus de deux euros, soit près de 20 % du prix fixé, dont une partie sera prise en charge par la sécurité sociale. Il y aurait là une évidente économie à réaliser en supprimant ce qui me paraît n’être qu’une vaste escroquerie légalisée car, muni d’une ordonnance délivrée par mon médecin, je ne vois pas en quoi le potard de service peut m’être utile autrement qu’en me délivrant avec le sourire la spécialité sur laquelle son bénéfice est de 33% environ.
Hier, enterrement. Cérémonie dans la petite église romane du village. Trop de monde pour y pénétrer. Je reste sur le parvis, qui est un grand mot pour l’intimité du lieu, parapluie en main sous la pluie compatissante aux larmes des proches. Il me permet d’abriter une femme que l’émotion ou une baisse de tension fait sortir de la nef, aidée par son mari (alors que j’écris ces mots, radio Chopin, une de ces innombrables radios internet que j’écoute en alternance, diffuse la marche funèbre du compositeur ; coïncidence amusante, si l’on peut dire).
Quelques visages me sont familiers. La majorité d’entre eux a revêtu le costume de circonstance qui dormait dans la penderie. Tous ont sans doute la même préoccupation, récurrente aux mêmes cérémonies : à chacun son tour ! Ils attendent dans la naphtaline.
Je marche autour du bâtiment, parcours le vieux cimetière désaffecté qui dort par derrière. J’aimerais y reposer plus tard tant tout y est sérénité entre les tombes de pierre émergeant de l’herbe verte.
Sur le monument aux morts qui jouxte l’église, une plaque de marbre aura tari mes larmes et me rappelle l’inanité des choses : le nom de l’un de mes fils y est gravé.
Prenez soin de vous et rappelez-vous que » vanitas, vanitatum et omnia vanitas «