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Photo perso – DR |
À qui veut les entendre, les commentateurs qui se disent informés se gargarisent d’une satisfaction toute factice. Il est heureux, disent-ils, que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité l’homme ait choisi, pour contrer cette épidémie coronavirale, la santé et non l’économie.
Il serait pourtant plus juste et sincère de dire que, dans sa globalité, homo sapiens est lentement devenu homo timoratus si ce n’est homo phobicus, voire homo stultus ; par conséquent quelques uns de l’espèce par crainte de procès, de plaintes, de rejets, les autres par tare génétique, beaucoup par hébétude, privilégièrent l’univers hospitalier devenu exsangue afin de préserver le résidu de confort qui subsistait malgré les coupes claires successives l’érodant au nom de l’économie.
Ce n’est donc pas par compassion envers leurs prochains que fut décidé l’aberrant confinement, dont on ne peut affirmer qu’il fut efficace puisque les rares comparaisons avec d’autres nations moins autoritaires démontrent une étonnante similitude dans les résultats obtenus, voire meilleurs, non par compassion donc mais uniquement par crainte d’administrés plaideurs en tout genre qui, depuis l’épisode du sang contaminé, recherchent des responsables à tous les aléas perturbant la banalité de leur existence.
Certes l’émergence de ce virus, comme des centaines d’autres d’ailleurs, passés ou futurs, avec leurs alter-ego les bactéries, agissant ponctuellement de même, vint enrayer de sa taille plus insignifiante qu’un grain de sable le beau rouage de notre quotidien. Mais guère plus, tout autant peut-être, voire moins, que les épidémies auxquelles est confrontée régulièrement depuis son origine l’humanité et dont on ne parle jamais, sinon après. Cette attaque virale bénéficia d’une publicité outrancière qui, comme un ouragan s’auto-alimentant, balaya les esprits enclins à toutes les peurs imaginant dans cette bestiole agressive l’émanation d’un Hécatonchire intentionnellement libéré par un Zeus asiatique désireux de régner en maître, ou pesticide détruisant la nature facilitant la naissance d’une Chimère dévorant ceux qu’elle croisait. Rares furent les médecins à dire qu’il ne s’agissait que d’une maladie comme une autre, à traiter en médecin et non en pusillanime. On ne les écouta pas. Pire, on tenta de les discréditer.
Il faut toujours trouver raison à ses angoisses, à ses phobies. Les anesthésier. Alors on confina, au nom du principe de précaution, de la trouille mondiale qui dirige désormais nos sociétés, sans se soucier de savoir si l’on n’allait pas tomber de Charybde en Scylla, si le remède ne serait pas pire que le mal.
D’effrayantes statistiques, ajoutant à la terreur, furent ainsi communiquées, prévoyant une espèce d’apocalypse si rien n’était fait pour contenir l’avancée du monstre. Encore aujourd’hui répète-t-on à l’envi qu’il est toujours là, tapi dans quelque recoin prêt à fondre sur sa proie, malgré l’évidente constatation de sa constante évanescence.
L’humanité cessa de vivre, confinée qu’elle était dans sa prison d’interdictions. L’activité cessa. L’économie fut rabotée, ruinée. Quelques naïfs crurent que la décroissance, enfin, prenait le pas sur le capitalisme, espérant, Attila modernes, que la mondialisation ne repousserait pas là où ils applaudissaient.
Puis la réalité lentement s’imposa. Tous n’étaient pas morts mais beaucoup furent abandonnés, laissés pour compte sur le bord du chemin. Ils mourront, socialement ou physiquement, plus violemment sans doute que d’une agression virale. Immanquablement nombreux sont ceux qui, se réjouissant de cet entracte, deviendront les nouvelles victimes de ce nouveau bourreau, le désastre économique.
À l’image des animaux de la fable que Babrius, fabuliste romain écrivant en grec, intitula « Les Bœufs », traduit par M. Sommer en 1848, que je vous livre in extenso en guise de conclusion.
21 – LES BŒUFS.
Les bœufs un jour cherchaient à se défaire des bouchers, dont la profession leur est si funeste. Déjà ils s’attroupaient et aiguisaient leurs cornes pour le combat. Un des leurs, un vieux bœuf qui avait longtemps traîné la charrue, leur dit : « Du moins, ceux-ci ont la main habile et nous tuent sans nous faire trop de mal ; mais ce sera deux fois mourir que de tomber sous les coups de maladroits ; à défaut de bouchers, les bœufs auront encore assez d’égorgeurs. »
Avant de fuir un mal présent, vois à ne pas tomber dans un pire.
Van Gogh – « Les mangeurs de pommes de terre » – 1885, huile sur toile – Amsterdam, Musée Van Gogh
Lorsque Parmentier rédigea son mémoire sur la pomme de terre, en 1771, sa culture en était interdite par le Parlement depuis 1748. On l’accusait de tous les maux, notamment d’empêcher le blé de pousser et plus grave encore, de donner la lèpre. Ces préjugés s’éternisèrent jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Pourtant la faculté de médecine avait conclu que la consommation de la pomme de terre ne présentait aucun danger dès 1772. Les croyances sont tenaces et les peurs induites plus encore.
L’inconnu a toujours épouvanté les hommes ; ce que le professeur Apfelbaum nomme aujourd’hui la néophobie, ce rejet de la nouveauté dû, en matière alimentaire, au comportement omnivore de l’espèce humaine et à sa mémoire génétique l’incitant à refuser ce qui rompt ses habitudes. Il fallut à Parmentier l’aide de Louis XVI, treize années plus tard, pour qu’il puisse développer la culture du tubercule tant honni, évitant des famines récurrentes.
Il est remarquable de noter que rien n’a guère changer dans l’attitude contemporaine face aux multiples bouleversements que la science nous offre, tant sur le plan nutritionnel que sur celui des avancées technologiques. Réjouissons-nous cependant de voir un nombre croissant de scientifiques s’élever avec colère contre les fantasmes de ces ignorants qui dénigrent sans cesse leurs travaux ou les accusent de connivence avec l’industrie. Ainsi les chercheurs de l’Afsaa dont on a dit pis que pendre, qui se rebellent contre ces attaques infamantes et dénuées de fondement.
De quelque côté que l’on se tourne, le rejet devient systématique. OGM, nourriture, vaccins, produits chimiques, éolienne, nucléaire, ondes, transports, déplacements et j’en passe. Tout devient sujet d’angoisse, de panique mais surtout de volonté de nuire envers ceux dont la raison est plus sereine.
A entendre ces adeptes du freinage, nous nous étonnons que tant d’humains subsistent encore sur la planète malgré les périls auxquels nul n’échappe. Il faudrait revenir à l’époque de Galilée, se replier sur son lopin de terre, se lover dans une bulle, un cocon. Un cloître devient leur univers. L’étroitesse est leur monastère. La mesquinerie leur religion.
L’exemple est galvaudé, l’image éculée, mais tellement symptomatique de cette imbécillité qui consistait à ne vouloir considérer rien autre chose qu’un danger, une calamité, une catastrophe planétaire, celui du rejet des locomotives à vapeur au dix-neuvième siècle. Que n’a-t-on dit alors? Mais tout est dangereux, rien n’échappe à cet étau qui nous presse dans tous les actes de notre quotidien. Et que ne dit-on aujourd’hui? Et la justice qui s’en mêle dans ces derniers avatars, condamnant les opérateurs téléphoniques à démonter leurs antennes. Si sur le plan esthétique je conçois qu’on peut mieux faire —mais nos bons vieux châteaux d’eau sont-ils plus artistiques et moins dangereux?— il est prouvé qu’elles ne sont pas une menace pour la santé. On m’opposera, j’en suis convaincu, comme exemple prégnant d’une nécessaire interdiction, les fibres d’amiante qui, dangereuses à l’état libre, ne le sont pas plus qu’un gilet en coton —dont les fibres, elles aussi provoquent des pathologies sur ceux qui les manipulent— lorsqu’elles sont emprisonnées dans une gangue protectrice. Toute évolution a son revers. Le feu brûle, mais domestiqué il permit à l’espèce humaine d’émerger vers une plus haute destinée que celle qui semblait être son horizon; grâce à ce feu on peut faire bouillir de l’eau pour détruire les bactéries, mais aussi s’ébouillanter. Ces propos peuvent paraître simplistes, mais ils sont la réalité et dès lors il faudrait tout interdire au prétexte d’un danger potentiel, sous-jacent.
Quoi qu’on en ait, la confiance doit être accordée aux scientifiques. Pas cette absurde dévotion telle que l’imposèrent Auguste Comte et Berthelot dont le scientisme était devenu aussi intransigeant que l’écologisme l’est de nos jours pour ses adeptes, mais cette confiance raisonnable qui fait qu’eux seuls sont aptes à déterminer les précautions à prendre. Malheureusement le risque nul n’existe pas, et s’il faut attendre de savoir ce qui peut advenir d’une invention, d’une nouvelle technique sans jamais la mettre en expérimentation, en pratique, le temps s’écoulera sans fin avant d’en connaître les bienfaits, tout se passant comme si, lorsque Papin inventa sa machine à vapeur, il eût été nécessaire d’attendre son explosion déclenchant le drame de Tchernobyl, puisque son origine n’est pas l’explosion atomique que d’aucuns imaginent, mais la surchauffe d’une cuve où se trouvait le combustible. Fallait-il mettre sous le boisseau l’invention de Gutenberg au prétexte qu’Hitler écrirait Mein Kempf? Fallait-il ensevelir la découverte de Becquerel au prétexte que la radioactivité mutilerait les premiers radiologues?
On sait désormais qu’à tout bénéfice peut correspondre également, pour une découverte, un aspect négatif, et c’est bien la raison pour laquelle avant toute mise sur le marché des études sont menées, objectives, dont je me demande pourquoi on les met systématiquement en doute. Cela devient lassant, exaspérant, contraignant au point de faire perdre des décennies à la recherche, la stratifiant dans une léthargie que d’autres nations mettront à profit pour nous devancer. B. Obama, ne s’y est pas trompé, lui qui vient de lever les restrictions draconiennes mises en place par son prédécesseur concernant la recherche sur les cellules souches. Le retard pris par les américains en ce domaine est considérable, grâce d’ailleurs en partie par l’attitude toujours aussi rétrograde des moralisateurs et religieux qui surent influencer G.W.Bush.
Et le drame se situe à ce niveau, les gouvernants se laissent mener par le bout du bulletin de vote pour tenter de ménager la chèvre et le chou, satisfaisant celui qui crie le plus fort aux dépens de toute logique, de toute vision à long terme. Quitte à se faire accuser d’impéritie; mais ils n’en ont cure, privilégiant leur sinécure sans se soucier du futur.
Alors qu’ils devraient tout faire pour protéger la sérénité des chercheurs. N’oublions jamais que l’avenir d’une nation dépend de son enseignement et de sa recherche, en aucun cas de ses flics, en uniforme bleu ou veste verte.
La néophobie devient épidémie!