La voix de son maître

20 juin 2019 § Commentaires fermés sur La voix de son maître § permalien

His Master’s Voice – 1898 – Francis Barraud

     Qui se souvient de Zappy Max ? Le 16 juin dernier l’animateur radio de, entre autres,  » Ça va bouillir  » et de  » Quitte ou double  » est décédé à la veille de ses 98 ans. 
     L’information m’est passée totalement inaperçue. Il avait exactement l’âge de mes parents, c’est dire si sa voix nasillarde accompagna mon enfance lorsque nous l’écoutions au moment des repas fin des années cinquante sur les premiers transistors. C’est lui qui animait l’émission au cours de laquelle l’abbé Pierre remporta une somme rondelette pour les pauvres. 
     Il est impossible de se remémorer l’intonation d’une voix; nul ne se souvient de la voix de Louis XIV ou de Napoléon, et pour cause, alors que leur visage nous sont familiers grâce aux portraits qu’en firent d’eux les peintres de l’époque. Avec la technologie développée par Thomas Edison et que symbolise le petit fox de Pathé-Marconi, il eût été possible de les enregistrer et d’en restituer les accents. Ainsi que pour nos proches, et si nous ne le faisons le temps efface à jamais cette singularité de l’individu. Tentez de vous souvenir de la voix de ceux qui vous furent chers, de vos grands parents, voire de vos parents; mission impossible. Les brumes de l’oubli les balayent de nos mémoires. 
     La voix cependant est capitale dans l’intérêt qu’on porte à celui ou celle que nous côtoyons. Un orateur ne peut qu’avoir des intonations qui nous bouleversent, nous passionnent, nous sensibilisent, sinon son discours a des chances d’être un vague bruit dans le désert. Les dictateurs le savent bien qui en jouent. Tout comme les politiques. Les mots d’amour ne le sont vraiment qu’avec un registre qui fait battre le cœur, ceux de la colère ou de la réprimande qu’avec celui de la peur, et ceux du commandement qu’avec celui de la soumission, de l’enjôlement. Tallemant, à propos d’un comédien de son époque, le précise :  » Jodelet parle du nez, pour avoir été mal pansé de la vérolle, et cela lui donne de la grâce « . Fumer modifia la voix de Jeanne Moreau lui apportant ce grave presqu’inoubliable. Je n’ai jamais enregistré la voix de mes proches, de mes fils, et je le regrette. 

     J’en parlais avant-hier, à propos de l’éducation. Même les élèves se révoltent. On croit rêver. À-t-on jamais vu apprenti dicter à son précepteur ? Le chef d’œuvre serait de belle facture si les compagnons du devoir renâclaient de même, contestaient la voix de leurs maîtres. 
     Les lycéens qui passaient leur bac de français se sentent humiliés. Ceux des séries S et ES. Les meilleurs. À cause qu’ils jugent l’épreuve trop difficile. Le sujet en était un commentaire de texte sur un poème d’Andrée Chedid. 
     Ces jeunes écervelés ne savent-ils pas qu’il faut prendre son temps pour lire la question, l’analyser un bon quart d’heure avant d’y répondre ? Ce faisant ils auraient constaté que l’écrivain est une femme et non un homme comme certains furent surpris de le découvrir ensuite. Pourtant, avec cette manie de tout féminiser dont on voit bien que c’est un peu stupide, ils eussent pu le deviner rien qu’à la voyelle finale du prénom. Enfin, disserter sur  » L’écriture poétique et quête de sens, du moyen âge à nos jours « , ne me semble pas être d’une difficulté insurmontable à des élèves dont l’âge les porte à rimer et s’épancher sur leurs peines et leurs joies. Ils ont tout de même bien lu quelques chansons de geste, puis des tirades, des sonnets et autres quatrains, écouter les chansons de Louis Chedid ou de Matthieu son fils (et petit-fils d’Andrée) et enfin s’exalter sur des textes de RAP à défaut d’avoir lu Sabine Sicaud, Francis Ponge, Thierry Metz, Bernard Noël et bien d’autres. Rien qu’avec ça on peut écrire une dizaine de pages. Et ne pas paraître plus stupides qu’on est. 
     Il est quand même remarquable qu’à notre époque on s’émeuve continuellement pour des fadaises et que la moindre difficulté, ou le simple rejet, la mauvaise volonté, enchaîne une kyrielle de pétitions. 
     Car on pétitionne à tout va, et on l’exige, comme on mendie sans scrupule sur les sites internet idoines. Dans l’espoir de voir fleurir des référendums, d’obtenir satisfaction, de modifier ce qui ne nous convient pas, acquérir plus que nous avons. C’est la porte ouverte à tous les abus. La politique participative est une absurdité qui débouche sur le dépérissement de la pensée, la décadence, le reniement des valeurs.  » …est-ce l’opinion du grand nombre que nous devons suivre et craindre, ou celle du seul juge compétent, s’il en est un ? «  répond Socrate à son ami Criton l’enjoignant de s’évader après sa condamnation à mort.

Journal (extraits)

6 juin 2019 § Commentaires fermés sur Journal (extraits) § permalien

Un wagon de troisième classe – 1862 – Daumier – National Gallery of Canada

3 juin

     Si gouverner c’est prévoir, ce n’est pas imaginer des romans de science-fiction.
     J’apprends que nos députés, qui n’ont pour eux que le nombre et non le pouvoir de convaincre pour adopter des textes législatifs, viennent de voter en commission une proposition de loi interdisant, pour dans vingt ans, l’achat de véhicules à énergies fossiles.
     S’il y a une décision imbécile, c’est bien celle-ci.
     Tout d’abord parce que nul ne sait ce que le monde sera dans vingt ans. Et certainement pas ce que seront les possibilités des carburants fossiles.
    Ensuite parce qu’il est fort probable que le rejet d’aujourd’hui vis à vis de ces carburants ne soit plus de mise demain, leur mise en cause dans le changement climatique étant minime. Et s’il s’agit d’autres raisons, comme les encombrements ou la pollution, les nouveaux véhicules qui ne pourront qu’émerger participeront du même phénomène, comme aux siècles passés carrosses, diligences, voitures à cheval et chaises à porteur. Il n’est que de constater par ailleurs les soucis de cohabitation que provoquent actuellement les trottinettes électriques, au demeurant aussi polluantes abandonnées et dangereuses, sinon plus, que les automobiles.
     Enfin, ces élus ne l’ont pas été pour faire des effets d’annonce mais bien pour légiférer intelligemment. Or tout se passe comme si, avec cette loi, on voulait caresser dans le sens du poil, afin de le récupérer en tout ou partie, un électorat d’écologistes arrivé en troisième place aux dernières élections, et non par conviction profonde.
     Les écologistes ne sont pas des gens fréquentables. Versatiles, ils votent au gré d’une humeur vagabonde. D’autre part, espérant un monde imaginaire, ils s’émerveillent à la manière d’Alice des petits lapins creusant leurs terriers, ou rêvant de coquelicots sans jamais les voir pour la bonne raison qu’ils ne sortent pas des villes ou au mauvais moment lorsque la saison est passée.
     Leur univers est miniature, ils ignorent que la terre est vaste et partant la moindre fourmilière leur devient un obstacle insurmontable envahissant l’espace. Ils prônent la décroissance pour un retour aux sources. ils n’obtiendront que la ruine.
     Gouverner c’est prévoir ; ce n’est pas interdire. C’est donner les moyens à la société de croître et non de régresser. C’est espérer et non craindre. C’est vivre et non végéter.
     Nos élus actuels végètent dans l’inconscience et l’inconsistance. Ils ignorent le formidable pouvoir de l’Homme, non seulement à s’adapter, mais aussi et surtout à trouver des solutions. Demain de nouvelles énergies émergeront (l’hydrogène, la fusion nucléaire et d’autres à découvrir) et ne seront pas produites par le vent ou le soleil éminemment capricieux.

4 juin

     Passage rapide au palais de justice pour remettre une demande de reconduction de curatelle au greffe des tutelles.
     Ai croisé dans un couloir une jeune femme avec une trottinette électrique. Elle marchait à côté, au contraire d’autres qui l’auraient utilisée sans vergogne malgré l’exiguïté du lieu.
     Elle avait l’air un peu stupide avec cet engin que j’évoquai hier et connu pour enfant.
     Cette invention sortie du cerveau d’insensés est une calamité. Outre le fait qu’elle est cause d’accidents désastreux, elle est polluante par sa batterie ainsi que par sa durée de vie qui est estimée à une trentaine de jours, consommatrice d’énergie, et surtout utilisée en dépit du bon sens par de jeunes (et moins jeunes) idiots qui se croient tout permis. De plus, n’ayant pas effort à fournir, elle ne permet aucun exercice physique à ses pratiquants.
     Cet engin ne sert à rien.

     Proposition imbécile d’écologistes convaincus d’œuvrer pour le bien de la collectivité : supprimer en les interdisant les vols sur les parcours où les trains ne mettent pas plus de temps pour les effectuer que les avions.
     Une seule conséquence à retenir : l’afflux de voyageurs ne pourra être résorbé par la SNCF qu’à la condition de doubler les lignes. Imagine-t-on les dépenses à effectuer pour ce faire, la pollution qu’entraînera une telle débauche de ferraille et de béton, le coût en énergie des trains supplémentaires et les gares envahies par des voyageurs exaspérés par les retards récurrents du transporteur ? Non, on propose sans réfléchir. À croire que le cerveau de nos élus se ramollit et fond rien qu’à l’évocation d’un réchauffement climatique.
     Ruffin, à l’origine de cette proposition souhaite voir les hirondelles, comme si l’avion, sous-entendu, les décimait. Il n’a qu’à venir ici, j’en ai vu voler hier au ras des blés ; signe d’orage.
     Proposition reprise par Batho qui pratique la surenchère pour se faire remarquer, prouver qu’elle existe : tous les trajets en avion pouvant s’effectuer en deçà de cinq heures par le train sont à supprimer et à remplacer par ce moyen de transport et sans doute la voiture, le cheval ou à pied, voire le bateau à rames pour se rendre au Maroc par exemple (environ 3 h d’avion) ou en Israël (environ 4 h 30) si nous voulons aller plus loin dans l’emphase.
     Les imbéciles ont de superbes jours devant eux.

Michel Serres

2 juin 2019 § Commentaires fermés sur Michel Serres § permalien

La Mort de Socrate – Jacques-Philippe-Joseph de Saint-Quentin – 1762 – École nationale supérieure des beaux arts

     Michel Serres est décédé hier dans la soirée. Le philosophe a rejoint ses pairs. 
     J’ai toujours pensé qu’il avait été officier de marine avant de virer vers la philo. Il n’en est rien. Reçu à l’école navale il démissionna assez vite pour intégrer normale sup. 
     Je n’ai lu qu’un seul de ses bouquins : Petites chroniques du dimanche soir. Recueil de ses dialogues que j’écoutais sur France Info avec Michel Polacco chaque fin de semaine entre février 2006 et mars 2007. 
     Peu lu certes, mais souvent écouté car j’aimais sa voix à l’accent gascon diffusant sa vision du monde, de notre quotidien. Que demander d’ailleurs à un philosophe sinon des réponses simples à nos interrogations et surtout développer cet esprit critique qui manque à beaucoup. 
     Je l’avais aperçu l’autre dimanche à la télévision dans l’émission C Politique. Il paraissait malade. L’âge ! Et l’on se dit, comparant des photos distantes de quelques années, que la vieillesse, la vraie, celle dont on ne se relève pas, vient soudainement. 
     Il s’est donc tu dans un dernier sourire figé. 
     Platon, dans son apologie de Socrate, prête à ce dernier qui se défendait devant ses juges les propos suivants (troisième partie § xxxii) sur la mort qu’il ne craignait pas : s’il s’agit d’un sommeil éternel sans rêve, ce ne peut-être qu’un merveilleux gain, et s’il s’agit de retrouver ceux avec qui dialoguer, Homère, Palamède et d’autres, quel merveilleux passe-temps alors. 
     Désormais Michel Serres aura le choix.

Chemin

Vous regardez dans Journal la catégorie Le Plumier.