Le ministre et le cordonnier

16 novembre 2020 § Commentaires fermés sur Le ministre et le cordonnier § permalien

   

T.S.F. à l’hôpital des enfants, rue de Sèvres [hôpital Necker]

 

   Ne croyez pas que je veuille comparer les malades de la CoVid-19 à de vieilles godasses éculées, mais lorsque j’entends le ministre de la Santé s’étrangler face aux députés qui votèrent la fin de l’État d’urgence au 14 décembre, je ne peux m’empêcher de comparer sa démarche, si je puis dire, à celle d’un cordonnier qui demanderait en hurlant de ne plus marcher au prétexte que sa boutique serait envahie par une masse de tatanes trouées, qu’il n’a plus de place pour les stocker et pas de personnel pour toutes les réparer.

   J’aurais envie de lui répondre d’agrandir sa boutique et de recruter au lieu de dépenser inutilement des milliards à subventionner ceux qu’il veut empêcher de déambuler.
C’est en quelque sorte la réalité du confinement, cette exception dramatique qui finira par causer plus de décès qu’un Coronavirus en lui-même non mortel mais provoquant des effets connexes qui, mal maîtrisés, deviennent, eux, létaux.

   Quant à prendre pour exemples, afin de démontrer la justesse de sa colère, le sort de deux patients (jeunes ou pas d’ailleurs) atteints du virus auprès desquels se battent une cohorte de soignants qui n’en peuvent plus en affirmant qu’il s’agissait là de la réalité, je ne le contesterai en rien, mais préciserai qu’il s’agit d’une réalité hospitalière absolument normale et non de la réalité quotidienne de soixante-cinq millions de Français sains et bien-portants.

   Car enfin, si l’on constate qu’il y a des malades, parfois graves et en fin de vie, dans un hôpital, il n’y a pas lieu de s’en étonner, ni de s’en émouvoir, c’est l’endroit où on les regroupe et où l’on ne voit qu’eux, atteints de diverses pathologies dont certaines inexorables. J’aurais plein d’exemples à citer. Des services d’oncologie aux nombreux cancéreux qui râlent, de gériatrie où les escarres empestent l’atmosphère donnant un avant-goût de l’au-delà, des centres spécialisés où la sclérose en plaque plonge les patients dans le coma, alimentés par une gastrostomie qui glougloute, les services de pédiatrie où des enfants sont perfusés, de réa où des corps disloqués atterrissent, de médecine où des bactéries vous rongent les os, de néo-nat où les couveuses sont pleines de prémas ou de petits poids, des centres hélio-marins où les enfants respirent mal… tous services où il n’y a que des malades qui entrent et dont certains sortent. Bref, malades il y en a à l’hôpital, en clinique et ailleurs, c’est normal, mais heureusement l’immense majorité de la population non seulement se porte bien mais ne pénètrera dans ces locaux que pour visiter proches ou amis. Comme dans toutes les pandémies, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, seul un pourcentage, parfois important, de gens est contaminé. Jamais l’entière population. Il suffit d’autre part de respecter les gestes d’hygiène pour limiter la diffusion du pathogène, en plus de l’inégalité génétique qui gouverne nos vies. Et si l’on craint, rester chez soi, mais ne pas subir cette sorte d’ostracisme despotique qu’est le confinement imposé.

   D’autre part, si les gouvernements successifs ont fait preuve d’impéritie, ce n’est pas une raison pour en faire pâtir l’ensemble de la collectivité. Car il n’était pas difficile de prévoir, sachant que la population croissait et que la durée moyenne de vie s’allongeait, que les malades emprunteraient la même courbe et qu’il devenait imprudent de supprimer des lits d’hôpital, voire carrément fermer des établissements. Autrefois, lorsque la tuberculose ravageait la population et que n’existaient pas les traitements antibiotiques la guérissant, furent construits pléthore de sanatoriums pour en accueillir les poitrinaires. Aujourd’hui, pratiquement devenues inutiles, ces immenses bâtisses ont été transformées en maison de retraite, de repos, de réadaptation, de soins etc. etc. Deux conclusions s’imposent : la première est que nos ancêtres firent preuve de plus de clairvoyance que nos ministres contemporains, la seconde est la démonstration, grâce à l’intelligence, que tout peut avec bénéfice se transformer. Les sommes colossales dépensées dans les aides multiples qu’il faudra, un jour ou l’autre, rembourser, eussent été mieux utilisées dans l’urgente création d’unités destinées à soigner cet afflux temporaire de malades plutôt qu’à tuer à petit feu un plus grand nombre de bien-portants.

   Voudrait-on agir comme dans les élevages contaminés en abattant tout le cheptel, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Un remède pire que la Covid

3 juin 2020 § Commentaires fermés sur Un remède pire que la Covid § permalien

 

Photo perso – DR

 

     À qui veut les entendre, les commentateurs qui se disent informés se gargarisent d’une satisfaction toute factice. Il est heureux, disent-ils, que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité l’homme ait choisi, pour contrer cette épidémie coronavirale, la santé et non l’économie. 
     Il serait pourtant plus juste et sincère de dire que, dans sa globalité, homo sapiens est lentement devenu homo timoratus si ce n’est homo phobicus, voire homo stultus ; par conséquent quelques uns de l’espèce par crainte de procès, de plaintes, de rejets, les autres par tare génétique, beaucoup par hébétude, privilégièrent l’univers hospitalier devenu exsangue afin de préserver le résidu de confort qui subsistait malgré les coupes claires successives l’érodant au nom de l’économie. 
     Ce n’est donc pas par compassion envers leurs prochains que fut décidé l’aberrant confinement, dont on ne peut affirmer qu’il fut efficace puisque les rares comparaisons avec d’autres nations moins autoritaires démontrent une étonnante similitude dans les résultats obtenus, voire meilleurs, non par compassion donc mais uniquement par crainte d’administrés plaideurs en tout genre qui, depuis l’épisode du sang contaminé, recherchent des responsables à tous les aléas perturbant la banalité de leur existence. 
     Certes l’émergence de ce virus, comme des centaines d’autres d’ailleurs, passés ou futurs, avec leurs alter-ego les bactéries, agissant ponctuellement de même, vint enrayer de sa taille plus insignifiante qu’un grain de sable le beau rouage de notre quotidien. Mais guère plus, tout autant peut-être, voire moins, que les épidémies auxquelles est confrontée régulièrement depuis son origine l’humanité et dont on ne parle jamais, sinon après. Cette attaque virale bénéficia d’une publicité outrancière qui, comme un ouragan s’auto-alimentant, balaya les esprits enclins à toutes les peurs imaginant dans cette bestiole agressive l’émanation d’un Hécatonchire intentionnellement libéré par un Zeus asiatique désireux de régner en maître, ou pesticide détruisant la nature facilitant la naissance d’une Chimère dévorant ceux qu’elle croisait. Rares furent les médecins à dire qu’il ne s’agissait que d’une maladie comme une autre, à traiter en médecin et non en pusillanime. On ne les écouta pas. Pire, on tenta de les discréditer. 
     Il faut toujours trouver raison à ses angoisses, à ses phobies. Les anesthésier. Alors on confina, au nom du principe de précaution, de la trouille mondiale qui dirige désormais nos sociétés, sans se soucier de savoir si l’on n’allait pas tomber de Charybde en Scylla, si le remède ne serait pas pire que le mal. 
     D’effrayantes statistiques, ajoutant à la terreur, furent ainsi communiquées, prévoyant une espèce d’apocalypse si rien n’était fait pour contenir l’avancée du monstre. Encore aujourd’hui répète-t-on à l’envi qu’il est toujours là, tapi dans quelque recoin prêt à fondre sur sa proie, malgré l’évidente constatation de sa constante évanescence. 
     L’humanité cessa de vivre, confinée qu’elle était dans sa prison d’interdictions. L’activité cessa. L’économie fut rabotée, ruinée. Quelques naïfs crurent que la décroissance, enfin, prenait le pas sur le capitalisme, espérant, Attila modernes, que la mondialisation ne repousserait pas là où ils applaudissaient. 
     Puis la réalité lentement s’imposa. Tous n’étaient pas morts mais beaucoup furent abandonnés, laissés pour compte sur le bord du chemin. Ils mourront, socialement ou physiquement, plus violemment sans doute que d’une agression virale. Immanquablement nombreux sont ceux qui, se réjouissant de cet entracte, deviendront les nouvelles victimes de ce nouveau bourreau, le désastre économique. 
     À l’image des animaux de la fable que Babrius, fabuliste romain écrivant en grec, intitula « Les Bœufs », traduit par M. Sommer en 1848, que je vous livre in extenso en guise de conclusion.


 

21 –  LES BŒUFS. 
     Les bœufs un jour cherchaient à se défaire des bouchers, dont la profession leur est si funeste. Déjà ils s’attroupaient et aiguisaient leurs cornes pour le combat. Un des leurs, un vieux bœuf qui avait longtemps traîné la charrue, leur dit : « Du moins, ceux-ci ont la main habile et nous tuent sans nous faire trop de mal ; mais ce sera deux fois mourir que de tomber sous les coups de maladroits ; à défaut de bouchers, les bœufs auront encore assez d’égorgeurs. »
Avant de fuir un mal présent, vois à ne pas tomber dans un pire.

Chemin

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