
François-Guillaume Ménageot – Martyre de St Sébastien – milieu du 18e siècle – Musée Patrick et Béatrice Haggerty
Encore ce matin l’affaire Vincent Lambert à la une des journaux. Aux championnats de l’indécence et de la tartufferie cette famille va gagner le premier prix. Si l’autre jour je compatissais à la douleur de la mère de Vincent Lambert, et compatis toujours car la souffrance d’une mère est irrépressible, irréfragable, je ne peux que m’indigner de cet étalage d’un pathos dégoulinant, écœurant. La noblesse, la dignité consiste aussi à souffrir en silence. Diffuser une vidéo d’un peu plus d’une minute montrant le visage d’un jeune homme aux yeux perdus dans le vague de l’absence accompagnés des mots d’une femme pleurnichant, se lamentant, est indigne d’une mère respectueuse de la mémoire de son fils. C’est ce que fit hier Viviane Lambert en diffusant sur le site de Valeurs Actuelles, torchon friand de scandales, la vidéo qu’elle tourna. Indécent.
Que des avocats et des complices du Vatican s’exclament, à l’annonce de la décision de justice comme s’il s’agissait d’avoir marqué un but, qu’ils ont gagné avec la même ferveur que des entraîneurs sportifs adulés, encouragés, excités par leurs hooligans est pitoyable.
Qu’une femme mette en avant son catholicisme pour refuser l’euthanasie de son fils relève de la tartufferie, puisque lorsqu’elle trompait le père de ce fils mort-vivant avec celui qui trompait sa femme, les liens sacrés du mariage que prône leur religion lui étaient alors indifférents. Tartufferie typique de ces consciences qui composent, transigent avec la loi qu’ils imposent aux autres.
Puis et surtout, quel avenir offrir à ce fils qui, grâce à la technique respire encore mais ne semble pas pleurer au contraire de ce qui est affirmé dans cette vidéo honteuse (et si effectivement il pleurait, n’était-ce pas alors au contraire de ce que pense sa mère, mais parce qu’on lui impose une vie indigne ?) quel avenir en effet lui offrir alors que l’âge que l’on a laisse supposer qu’à court terme il deviendra orphelin dépendant ? Car Viviane Lambert, qui a peu ou prou l’âge de celui qui écrit ici, mourra bientôt, et selon toute vraisemblance avant son fils si la justice et la science se coalisent pour maintenir coûte que coûte sa vie végétative. Quel avenir lui réserver ainsi ? Et léguer ce fardeau à qui ? À son épouse, la seule à montrer de la dignité mais qui ne peut refaire sa vie, à sa fille qui n’a pas connu son père, à sa fratrie, à la collectivité ? N’est-ce pas réagir en égoïste que de vouloir continuer à le caresser, le voir, lui parler quand on sait qu’on ne lui survivra pas ?
Et c’est oublier enfin que, si cet homme a encore un semblant de conscience, la souffrance dans laquelle il est enfermé, de laquelle il ne peut sortir, lui est intolérable. Car on ne vit pas ainsi, on végète. On attend, on espère, on souhaite, immobile et muet, la mort, comme un condamné torturé, martyrisé par ses geôliers, ses bourreaux.

Pietà de Tarascon – avant 1457 – Paris, Musée de Cluny
Pense-t-il vraiment ce qu’il chante ou ne sont-ce que des mots débités afin de soigner sa publicité ? Après l’incitation à » Pendre les blancs « , ce rappeur inconnu a » Baisé la France jusqu’à l’agonie « . Dans le cas d’une pensée consciente, il faut le traiter aux sédatifs, sinon l’immoler sur l’autel de l’oubli. Quoi qu’il en soit, il n’est digne d’aucune sympathie et c’est déjà faire grand cas de son imperceptibilité que de l’évoquer. Il est remarquable de noter que dans cette course à la notoriété tous les moyens sont bons pour tenter de gagner, même et surtout peut-être ceux les plus bas, les plus vulgaires, ceux qui flattent l’instinct le plus vil partagé par les masses, faisant preuve ainsi, non pas d’intelligence ou de raison, mais uniquement de démarche économique ou de marketing. Le rap n’eut jamais une quelconque essence poétique, voire artistique ; épiphénomène, il reflète la valeur de ses géniteurs, c’est-à-dire la cupidité violente, et celle de ses adorateurs, la médiocrité.
Tout autre est l’expression d’une mère, celle de Vincent Lambert. La perte d’un enfant est la cause d’une douleur inexprimable. Dans le cas de cette femme, connaître de plus la date de cette disparition annoncée, qui plus est la semaine précédent la fête des mères, amplifie si tant faire se peut la détresse qui l’accompagne. Je la comprends, je la partage, tout autant que je comprends son appel à ne pas le condamner à mort – car alors pour elle cette présence terrestre disparaîtra – sans toutefois l’approuver. Vincent Lambert, son fils, est mort depuis 2008, date de son accident. Mort cérébrale s’entend puisqu’aujourd’hui son état végétatif le fait légume sans conscience, sans espoir. Il ne recouvrera jamais une quelconque raison, une vie même animale. Par conséquent il est indispensable de comprendre aussi la nécessité pour certains des proches du jeune homme de mettre fin à une situation pour eux invivable. S’il ouvre les yeux comme le montre cette photo indécente prise par quelqu’un d’indigne la divulguant dans la presse, comme on utilisait autrefois les enfants difformes mendiants, afin d’apitoyer le public, ce n’est plus que réflexe. Sans vouloir aucunement comparer, la grenouille que l’on étudie en la disséquant présente l’identique réaction.
Quant à ceux qui réclament de laisser vivre Vincent Lambert, ont-ils bien toute leur raison ? Le problème en rien ne les concerne, si ce n’est pour eux de manifester uniquement leur foi en la résurrection. Il n’y en aura malheureusement pas pour lui ; il végète. Et cet état végétatif permet à sa mère de le voir, le caresser, lui parler, comme s’il était d’esprit présent. Il n’est là que de corps, et pour une mère c’est déjà beaucoup. Tout peut-être. Mais déraisonnable. Alors oui, il n’est pas facile de trancher, entre l’amour d’une mère et la raison des autres. En une époque pas si lointaine encore, la mort de Vincent Lambert eût été effective depuis longtemps, laminant tout dilemme. Nos technologies modernes repoussent cette échéance, exacerbant nos déchirures, laissant croire que n’arrive jamais la dernière heure. Vulnerant omnes, ultima necat. Il faut savoir l’accepter.
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Lancelot combattant les dragons du Val sans retour – vers 1406-1460 – BnF |
Freud, qui distinguait une symbolique en toute chose, même et surtout quand il n’y avait rien à déceler, m’aurait vraisemblablement interprété illico le rêve que je fis l’autre nuit, moi qui ne rêve pratiquement pas.
Imaginez-vous en fauteuil roulant perdu dans une ville où chaque rue, chaque accès, est bloqué par un élément impossible à déplacer, partant à franchir. Les passants interrogés vous orientant vers d’autres rues, des quartiers inconnus, vous éloignant du but à atteindre et de ceux que vous devez rejoindre, quittés quelques heures auparavant de deux mains fermes actionnant les volants des roues du fauteuil. Un vrai cauchemar où l’on tourne effaré en rond. À devenir digne d’un dingue.
On ne sait pas grand chose concernant les rêves sinon qu’il surviennent lors du sommeil paradoxal et qu’ils intéressent au plus haut degré les apprentis sorciers psychanalystes. Mais leurs raisons d’être, leurs fonctions n’ont pas été mises en évidence. Aucune théorie n’est scientifiquement convaincante. Si Freud y voit une soupape de l’esprit permettant d’évacuer les traumatismes de l’enfance, pour Carl Jung c’est un moyen d’accéder à l’inconscient de l’individu d’aujourd’hui ; Hobson plaide pour une espèce de muse inspirant le créateur artistique ; un rappel à l’ordre pour d’autres, une régulation du stress selon Snyder, Bloch une sorte d’apprentissage ou encore une discrimination génétique pour Jouvet. Bref, on rêve sans savoir à quoi ça sert.
Pour ma part, le premier constat qui s’impose est de reconnaître que dans mon rêve, comme dans la réalité, il n’est pas facile de circuler dans une ville assis dans un fauteuil. C’est déjà d’une importance capitale.
Le second concerne la psychanalyse, cette escroquerie qui fait plus de ravage que de bien en vous propulsant aux limites de la psychiatrie. Je suis persuadé que si un émule de Freud lit ces lignes il voudra me convaincre que ma souffrance est intérieure et qu’il me fallait l’extérioriser ; le rêve pour ces charlatans étant l’accomplissement d’un désir, il m’aura sans doute permis de prendre conscience de la difficulté que j’aurai à surmonter pour accéder enfin à ce souhait refoulé. Une sorte de quête du Graal par un Lancelot affrontant des dragons.
Malgré toute l’attention que j’ai pu porter à l’analyse du cauchemar, je n’ai aucunement découvert le Graal en question et encore moins les dragons à vaincre. Sinon, tout bonnement, et d’une façon très prosaïque, vouloir éradiquer les imbéciles qui se garent n’importe où et bloquent le passage des fauteuil roulants et de ceux qui sont dessus.
Après tout, peu importe sa signification, l’interprétation des rêves est la preuve que la psychanalyse ne sert à rien.
De la même manière que l’homéopathie, l’acupuncture ou les autres médecines toutes plus fausses les unes que les autres qui ont tendance à fleurir en cette époque de troubles mentaux multiples relevant de la psychiatrie (naturopathie, thérapie manuelle, thérapie neurale, médecine chinoise et j’en passe des dizaines, sans oublier le véganisme, végétarisme, respirianisme et autres sectarismes sans oublier nos rebouteux millénaires) la psychanalyse ne déroge pas à la règle et ne repose sur aucun fondement scientifique. À l’identique des autres thérapies elle n’a jamais apporté la preuve de son efficacité, n’a jamais guéri quiconque, voire soulagé, bien au contraire.
Affirmer comme certains le font avec une candeur désarmante que son effet placébo est déjà une réussite en soi, n’est que l’affirmation inconsciente de son inefficacité. En effet, qui dit placébo dit, in fine, inaction. Imaginons une roue qui aurait un effet placébo ; ce serait une roue qui ne tourne pas, n’avance pas, n’entraîne rien, inactive, ne servant donc à rien. Tout juste bonne à contempler.
C’est très beau d’admirer une roue, mais ce serait mieux encore si elle vous permettait de vous transporter autrement qu’en rêve.

Le duel à l’épée – Jacques Callot – Source gallica.bnf.fr / BnF
Demain 1er mai. Que va-t-il encore se passer du côté des manifestations ? Des voyous en noir (bien souvent pourtant des gens diplômés, instruits, intégrés) s’apprêtent à casser du flic et des commerces, imités par des ilotes en jaune. Leur rencontre avec les services d’ordre, non seulement de l’état, mais également des syndicats, tournera-t-elle à l’émeute ? Ces petits groupes, qu’ils soient de n’importe quelle couleur, nous fatiguent. Minorité, ils veulent imposer leur point de vue : la destruction de l’ordre établi. C’est un peu court comme programme, n’ayant rien d’autre à proposer. Ils deviennent dérisoires et lamentables dans leur ponctualité à vouloir défier la démocratie en lançant des slogans infâmes. Je pense à cette injonction incitant les policiers au suicide. Je trouve pour ma part que ces derniers ont fait preuve d’une infinie tolérance. En une autre époque les morts, déjà, se compteraient par centaine. Ce qui, loin de moi, serait compris en réponse à leur cri de haine. Il faut être sévère mais juste.
Je m’acheminerai donc vers la promenade, le repas en famille ou la lecture pendant qu’ils plongeront dans la haine et la violence.
Tallemant par exemple ; le lire ou le relire, réserve toujours des surprises. Truffées d’anecdotes, ses historiettes nous plongent dans la société dite du Grand Siècle et nous en révèlent les mentalités.
On s’étripait pour un rien et, si le fil des épées s’est convertie à l’internet de nos jours, il est aisé de constater que la propension qu’à l’humain de s’en prendre à celui qu’il côtoie est toujours de mise. Tout comme complaire aux grands de ce monde était, ainsi qu’aujourd’hui, nécessaire à la réussite, à la promotion. Déplaire entraînant la disgrâce.
Pierre de Niert, de petite noblesse nous dit Tallemant, vieux singe malfaisant selon Saint-Simon, devint l’un des valets de chambre de Louis XIII. Il plut grâce à ses dons de musicien et de chanteur lorsqu’il fut appelé auprès du roi déprimé. Être valet de chambre, alors, ce n’était pas rien ; le plus proche du roi, le côtoyant jour et nuit il lui parlait, plus même que ses conseillers, et l’accompagnait dans tous ses actes quotidiens, jusqu’aux appartements des maîtresses dont il contrôlait les itinéraires secrets. Confident parfois, témoin toujours le temps de son service, le valet de chambre avait une relation privilégiée avec le maître du royaume. Niert, à un moment de son existence, ayant besoin d’argent en obtint du roi, insuffisamment. Se trouvant auprès d’Anne d’Autriche, il se plaignit de ne pas posséder quatre mille écus. L’une des femmes de chambre de la reine, Jeanne de Falguerolles, les lui donna. Tant de générosité le bouleversa et le rendit amoureux de cette jeune veuve extravagante, sans doute féministe avant l’heure appelant la souveraine » Siresse « , et qu’il aima de nombreuses années. Sans se marier avec elle pour autant afin de ne pas fâcher le roi qui voyait dans cette relation, tant il ne supportait plus Anne d’Autriche et son entourage, la source de ce que nous pourrions appeler une agence d’espionnage. Louis XIII en rien ne sut gré de ce sacrifice et ne promut jamais de Niert à la fonction de premier valet de chambre, parce que, lui répétait-il, il savait qu’il n’attendait que sa mort pour se marier. Ce qui advint en 1643, laissant enfin libres de s’unir les amants en 1644.
Pour autant de Niert n’obtint pas plus le poste si envié, Anne d’Autriche plaçant dans la chambre du jeune Louis XIV ses protégés. Dont Pierre de La Porte, devenu premier valet de chambre, que la reine disgracia quelques années plus tard pour avoir accusé Mazarin d’un complot, favorisant enfin de Niert.
Déplaire à ceux qui nous gouvernent c’est prendre des risques. Combien de commis de l’état, de préfets en subirent les conséquences, de magistrats ou de hauts fonctionnaires ? Ou plus simplement, à chaque strate de la société, ceux qui subissent la loi d’une hiérarchie bornée, d’un supérieur, contremaître, chef de bureau ou autres directeurs en tous genres.
C’est aussi, de mon point de vue, la preuve que ces chefs, s’ils ont une haute estime d’eux-mêmes, n’en ont guère pour les autres, mais surtout sont possédés d’une tare qui s’acquiert au fil de l’ascension sociale : l’ivresse du pouvoir avec pour corollaire la défiance. Défiance envers les autres mais aussi envers leurs propres capacités. Cette faiblesse d’esprit défie leur raison. Leur peur d’être dupés, trahis, les incite à la vengeance préventive pensant, comme le dit le dicton, qu’un renard peut changer son apparence mais pas ses tours. Le renard, tout comme les hommes, peut s’apprivoiser. Leur incompétence en ce domaine prouvent qu’ils ne savent pas commander car il suffit d’être juste.
Sévère, mais juste.