Homo timoratus

22 juin 2019 § 4 commentaires § permalien

Clepsydre de l’époque d’Aménophis III, XVe-XIVe av. J.C. – Photo Faty, Musée du Caire

     Le temps nous assassine. Nul antidote à ce lent poison. Mon beau-frère, le médecin, prépare sa retraite au grand dam de ses patients. Ce n’était qu’avant hier en définitive que j’assistai à sa soutenance de thèse. Et hier à celle de sa fille, Marine, en biologie. 

     Le 3 novembre 1983. C’était un jeudi. Université de Bordeaux II, dans la grande salle où les chaises faisaient face à la table du jury que présidait le professeur Sabathié, anesthésiologiste des hôpitaux, nous nous installâmes, en petit nombre, sa famille et ses amis pour suivre le déroulé de la prestation. Une heure ou deux à écouter et parfois tâcher de répondre en aparté. Le sujet était relativement nouveau à l’époque, concernant un système de vidéo interactive pour l’apprentissage des gestes d’urgences. Depuis on peut opérer à distance. 
     Après le serment d’Hippocrate, le professeur Sabathié, tout en buvant le Champagne, nous expliqua, parmi les rires, comment respirer par la bouche pour diminuer l’alcoolémie en cas de contrôle. C’était une époque aux ethylotests imprécis et aux mandarins, malgré qu’on en eut, qui ne craignaient pas de vivre. C’était la dose qui faisait le poison, pour approuver Paracelse, comme les années qui s’entassent. Certains préconisaient de boire du vin en guise de reconstituant; ainsi le professeur Portmann; et d’autres de fumer pour éviter les anxiolytiques. Je me souviens du professeur Bernard raconter, dans son émission radiophonique, l’histoire d’un de ses patrons qui vécut jusqu’à 80 ans en fumant 2 paquets par jour. Aujourd’hui ce sont les molécules qu’on recherche qui effraient au milliardième de gr, et l’on bouffe des neuroleptiques à la place de la viande en condamnant tout le reste. On veut tout changer, comme le vocabulaire. Tenez, tout en écrivant j’écoute Fip Bordeaux où j’entends l’animatrice parler de  » créateuses  » –  » houps, ça fait bizarre « , dit-elle – et j’ai envie de lui dire que créatrices, ce n’est pas si mal que ça. À trop vouloir chercher l’originalité, l’infinitésimale différence, la stupidité nous guette. Comme à trop chercher le danger dans ce qui nous entoure fabrique des timorés, parce que, forcément, il y aura toujours quelque chose à trouver. Et les remèdes deviennent plus néfastes que le mal prétendu. 
     Une nouvelle ère commence, celle que j’appellerai d’Homo timoratus. Homme peureux, craintif, méfiant, dont la vie devient un enfer à se préoccuper de ce qu’il mange, de ce qu’il boit, de ce qu’il respire, de ce qu’il sent, de ce qu’il capte, de ce que le climat lui réserve et de la météo du jour, de ce que la médecine ne fait pas, de ce que la pharmacie l’empoisonne, de la vitesse, des bouchons, de la surpopulation, de la nature, de la pollution, du CO2, et j’en passe, et bien sûr de ce qu’il pense. Tout est prétexte à se laisser dominer par l’angoisse. La crainte de la mort conduit la vie devenue stérile d’Homo timoratus. 
     Les nouveaux prêcheurs monopolisent les médias pour distiller la peur, aussi dangereux, vindicatifs, accusateurs, menteurs, que ceux, jadis, qui hantaient les villes incitant à la croisade ou condamnant à l’inquisition, au châtiment suprême.
Et j’ai envie de vous dire, vivez et moquez-vous du reste. Seul le temps qui passe est un poison. Un soupçon d’estime de soi, d’amour, suffit pour éradiquer l’angoisse.

La furie nous gagne

17 juin 2019 § Commentaires fermés sur La furie nous gagne § permalien

Oreste poursuivi par les Furies – 1862 – William Bouguereau – Chrysler Art Museum
     

 

     C’était bien la peine que Malot, Hugo, Zola et d’autres décrivissent la misère humaine ou que Vallès s’insurgeât contre l’injustice pour constater encore de nos jours qu’un juge condamne à la prison ferme un jeune d’une vingtaine d’années, et qui avait faim, quand bien même est-il récidiviste et c’est normal car la faim est récurrente, pour avoir chapardé, dans un magasin Franprix de Conflans-Sainte-Honorine où vigile et directeur, ces gardiens du Temple, avaient l’œil suspicieux, un sandwich et un jus de fruit ? 
     Mais qui est le plus stupide de cet infernal trio, le juge, le directeur ou le vigile ? Ils me font penser aux Furies romaines, ou Euménides par antiphrase, ces trois sœurs vindicatives, Tisiphone, Alecto, Mégère, chargées du maintien de l’ordre, de la morale et de la bienséance que nul n’osait regarder, à qui l’on rendait hommage par crainte mais que l’on haïssait au fond de soi. 
     L’enfer est pavé de bonnes intentions affirmait Saint Bernard, mais je lui préfère cette expression tirée du Talmud qui veut que, agir mal avec une bonne intention vaut mieux que suivre la loi avec une mauvaise intention. 

     Hier soir, les oies du Capitole ont cacardé de plaisir.  Toulouse a donc gagné son vingtième bouclier de Brennus, ce trophée rugbystique qui n’a rien de gaulois au contraire des joueurs et supporters de ce sport que la professionnalisation n’a en rien améliorés les rendant aussi furieux que les Erynnies. Je me rappelle une époque où les stades vibraient d’une joie partagée. Aujourd’hui les huées, la bronca anime les mécontents pour insulter le chef de l’état venu saluer les joueurs. Finira-t-on les matchs de ce sport dit de gentlemen comme on les commence dans le football, c’est-à-dire dans la vulgarité, la violence et la bêtise ? 

     Je lis dans Sud-Ouest que 44 personnes en furie de la région de Cognac veulent porter plainte contre Monsanto. Après avoir pissé du glyphosate, comme ils disent, ils vont aller déféquer leurs sottises au TGI de Paris pour – n’ayons pas peur des mots – emmerder les juges en rejoignant le conglomérat des pollakiuriques prétendument pestiférés. Et pourquoi ? 
     Pour rien. Parce que le glyphosate utilisé à bon escient est sans danger pour l’homme selon quelque huit cents études et l’unanimité des agences sanitaires, contre un seul avis partisan – celui du CIRC qui persiste à le diaboliser – et parce que les analyses faites sur les  » pisseurs « , comme ils se nomment, sont vraisemblablement biaisées; les mêmes mesures effectuées par des laboratoires dignes de ce nom ne présentent pas, loin de là, les résultats qu’affiche le labo allemand référencé par le groupuscule. A-t-on d’ailleurs déjà vu des analyses urinaires positives à 100% sur une cohorte de pisseurs pris au hasard ? Cette seule coïncidence est déjà suspecte. D’autre part le test Elisa utilisé, prévu pour l’analyse de l’eau, n’a jamais été validé pour l’analyse d’urine. 
     Quand donc cessera-t-on de prendre des vessies pour des lanternes ?

Génétique du crime

4 juin 2019 § Commentaires fermés sur Génétique du crime § permalien

La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime
Prud’hon Pierre Paul (1758-1823)
Paris, musée du Louvre

     Les lois de Mendel, vous connaissez ? suis-je tenté de dire aux multiples individus qui agressent les familles de criminels reconnus. 
     Je lis ce matin dans la presse que la mère et le frère de N. Lelandais envisagent de changer d’identité afin d’échapper aux injures, insultes et agressions dont ils sont victimes. 
     Pas plus qu’on ne vit un génie en enfanter un autre, la mère d’un criminel n’est en rien responsable génétiquement des crimes de son fils. Il faut être inculte pour le croire. D’ailleurs existe-t-il un gène, dominant ou récessif, responsable de ces actions violentes ? Une étude finlandaise en a retrouvé deux, mutés, (MAOA et CDH13 – lien : ici) chez des condamnés ayant au moins commis dix tentatives d’homicides. Le problème est qu’on retrouve également ces gènes au sein de la population dans la proportion d’un individu porteur sur cinq, lequel ne commettra jamais de crimes. Cette étude précise par ailleurs que dans le groupe d’ultras-violents étudié, des non-porteurs de ces gènes s’y trouvent. 
     En définitive une étude qui démontre que rien n’est démontré. Sinon tous les Abel seraient aussi des Caïn. 
     Dès lors, si l’on considère malgré tout que l’hérédité est responsable de l’agissement des criminels, alors nous devons également considérer que ceux qui insultent, agressent et, pourquoi pas ? veulent éliminer les familles de ces tueurs sont tout autant génétiquement criminels qu’eux. 
     Il s’agissait de l’aspect scientifique du sujet. Le côté humain, ou moral si l’on veut, est tout autant réprobateur d’une attitude imbécile qui voudrait que l’on se vengeât sur les parents d’un enfant ayant commis des crimes. Au nom de qui, au nom de quoi ? Il y a, dans nos pays civilisés, une institution qui s’appelle la Justice créée pour précisément éviter ce genre de perversion. 
     Nul ne peut rendre responsables les proches d’un assassin, car, tout comme j’évoquais supra Caïn et Abel, il faudrait alors vouer aux gémonies leur mère, Eve, ainsi qu’Adam leur père. 
     Sans doute ces procureurs amateurs ne connaissent-ils d’ailleurs pas les personnages du mythe chrétien que je viens de nommer tant les petits pois de Mendel par qui débutait ce billet, leur font office de cerveau.

L’envie d’ailleurs

26 mai 2019 § 1 commentaire § permalien

   

Le combat dans la forêt – Hans Burgkmair – 1500/1503 – National Gallery of Art

     Cette propension que nous avons à préférer l’ailleurs au chez soi provient peut-être de cette lassitude due à l’habitude, au désintérêt, à l’ennui ou à je ne sais quoi d’autre qui fait que l’on s’enthousiasme bien souvent à tort pour ce qui est différent de ce que l’on connaît. 
     L’autre jour, alors que j’étais avec cet ami handicapé et que les soignantes venaient pour les soins du soir, l’une d’elles regardant la télévision s’enflamma pour une tribu amazonienne ou africaine (ne suis pas sûr de l’ethnie n’ayant pas suivi l’émission) filmée dans sa vie de tous les jours, bâtissant des cases en haut des arbres, chassant, cueillant. Femmes, enfants, hommes, tous vivaient nus ou presque, se nourrissant d’insectes lorsque la chasse était mauvaise. 
      » Ils sont pas plus heureux que nous !   » affirma-t-elle, nous les montrant et poursuivant sa démonstration en indiquant qu’ils n’avaient pas besoin de chauffage, se contentant de peu, se nourrissant de ce qu’ils trouvaient, s’entraidant.  » Êtes-vous sûre, lui répondis-je, de pouvoir vivre longtemps comme eux, d’accepter privations, intempéries, luttes avec la faune, etc ? Une dizaine de jours, peut-être, et encore rien n’est moins certain.  » 
      » Ils n’ont pas besoin de confort, ils savent se passer du superflu !  » ajouta-t-elle alors que sa collègue protestait car, elle, aimait bien son confort et ne l’aurait pour rien au monde abandonné. 
     La forêt était luxuriante, le soleil brillait et les enfants souriaient en croquant mouches, coléoptères et autres scarabées locaux. La chasse n’avait rien donné commentait-on en off. 
     Le tableau paraissait idyllique, paradisiaque, nous transportait vers l’Eden originel, certes, mais je n’étais pas certain, après avoir connu les atouts d’une vie connectée, à l’abondance excessive, que nous acceptions sans grincer des dents une existence dépourvue de tout. 
     Est-on bien assurés d’ailleurs que ces peuples, confrontés au confort moderne, le rejetteraient systématiquement ? Mis à part quelques groupes réfractaires, comme cette tribu des Sentinelles tuant dernièrement un américain voulant les évangéliser, à l’inverse l’acculturation semble s’opérer. Les peuplades se raréfient, les nomades se sédentarisent, les régimes s’équilibrent et l’espérance de vie augmente. Faut-il le regretter ? Je n’en suis pas sûr et gage qu’à plus ou moins long terme ne subsistera plus sur cette planète d’homme sauvage, ce mythe qui fait encore rêver les candidats éphémères des jeux télés, ces épopées qui sont à l’aventure ce qu’un film porno est à l’amour. Les nudistes ne se décompteront plus que parmi nos habitants des villes avides de s’enclore en bord de mer et les tenants de régimes végétariens ou pires continueront d’aller dans leurs magasins spécialisés choisir leurs graines au lieu de grimper dans les arbres ou de cueillir les baies dans les haies. 
     Sans doute est-il dans la nature de l’homme de toujours chercher autre chose. Insatisfait perpétuel, il part à la découverte d’un bonheur qu’il croit trouver au bout du monde, de l’autre côté de sa rue, dans des expériences exotiques, la maison de ses voisins ou dans l’entreprise qu’il aimerait rejoindre, alors que ce bonheur est présent là où il se trouve mais ne le sait pas, parce qu’il oublie de le découvrir, de le regarder avec le recul, la distance nécessaire. 
     Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, chantait jadis Du Bellay pour aussitôt préciser, dans Les Regrets, le retour plein d’usage et raison… 
     Vivre entre ses parents le reste de son âge.

Chemin

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