4 mars 2019 § Commentaires fermés sur Après-midi dans les vignes § permalien

Hier, après-midi dans les vignes près de la maison à la recherche de quelques sarments afin d’en faire des boutures. J’avais repéré l’an dernier des plants d’un raisin de table à la saveur douce et sucrée perdus dans un rang de Colombard ou de Folle-blanche, cépages adaptés à la distillation du Cognac.
Le moment est propice, les vignes n’ont pas été encore taillées avant le débourrement du printemps.
Entre les rangs, l’herbe est rase pour le confort du vigneron qui viendra bientôt armé de son sécateur. » Désherbé au Glyphosate « me dis-je avec un sourire, me rappelant une discussion animée avec un couple écologiste.
Aux arguments sans preuve j’opposais alors l’absence totale d’études prouvant la toxicité de l’herbicide, hormis peut-être une parfaite supercherie, voire escroquerie – aussi inepte que celle du même tabac et du même individu sur le goût du vin altéré par les pesticides – face aux quelque huit cents affirmant que le Glyphosate est sans danger lorsqu’il est utilisé correctement, cette étude séralinienne voulant prouver l’empoisonnement des rats nourris avec un maïs génétiquement modifié tolérant au Roundup.
L’ironie dans cette discussion était que, tout en parlant âprement, mes deux opposants se roulaient des cigarettes qu’ils fumaient consciencieusement avec délice, méprisant le danger autrement toxique de cette fumée dont ils s’emplissaient les poumons que les calamités dont ils accusaient le Roundup. Comme quoi la foi qui nous anime ne permet guère l’objectivité et que nous importent peu des risques parfaitement connus lorsque la passion aveugle.
Cette anecdote me rappelle l’information lue dernièrement d’un jugement rendu au Canada, où des fumeurs attaquèrent l’industrie du tabac et obtinrent la condamnation des industriels poursuivis au prétexte que ces derniers n’avaient pas averti leurs clients des dangers du tabagisme. Cent mille emphysémateux, bronchitiques ou cancéreux se partageront, avant de mourir comme tout le monde, quinze milliards de dollars si la justice s’obstine dans ce verdict hallucinant et désespérant pour la conscience humaine.
De qui se moque-t-on ? On sait les dangers de cette plante depuis plus de trois cents ans, voire antérieurement. Même Catherine de Médicis, à qui Nicot expédia du Portugal des feuilles de tabac pour soigner ses migraines ou celles de son fils, en connaissait les désagréments. Déjà le chirurgien napoléonien Percy subodorait son action dans le cancer du poumon. Dès le début du XVIIe siècle Jacques 1er, roi d’Angleterre et d’Irlande, dénonçait » cette déplorable habitude, dégoûtante aux yeux, désagréable au nez, dangereuse pour le cerveau, désastreuse pour le poumon « . On condamna même à mort en Turquie ceux qui enfreignaient l’interdiction de fumer, à la bastonnade dans d’autres pays ou à des mutilations en Russie.
Et fumer ne date pas d’hier ! Bien avant que la solanacée fut connue. Sans doute depuis le VIe siècle avant JC selon un rouleau assyrien représentant un roi aspirant de la fumée. Du chanvre, de l’herbe, des lianes, de l’eucalyptus.
Et j’en parle à mon aise, car, quand bien même ai-je cessé depuis plusieurs mois, j’ai auparavant fumé pendant plus de cinquante ans. Tout ! Pipe, cigare, cigarette…et même avant l’âge de raison des cigarettes à l’eucalyptus, dès l’âge de quatre ans précisément, prescrites par le médecin de l’époque pour soigner l’asthme.
Si à cet âge d’innocence j’ignorais les risques et me croyais déjà viril, je sus ensuite ceux auxquels je m’exposais. Jamais pourtant il ne me viendrait à l’idée d’attaquer qui que ce soit pour atténuer ma culpabilité.
La responsabilité de nos actes nous incombe et reporter vers les autres les erreurs que l’on commet ne nous absout en rien. L’appât du gain pouvant être également le moteur de nos sottises.
Mais l’effarant est que des juges puissent donner raison à l’absurde.
17 février 2019 § § permalien
Hier encore nous eûmes droit au défilé qui devient traditionnel des insatisfaits perpétuels, accompagné par la non moins traditionnelle racaille, de droite ou de gauche, extrêmement casquée ou masquée afin que la vacuité de leur esprit soit protégée et ne puisse être comblée.
Dès l’origine du mouvement dit des gilets jaunes, historiens, sociologues, philosophes et autres théoriciens admirables de ce siècle, se sont succédé dans les médias pour affirmer qu’émergeront de ce remue-ménage quelques nouveaux meneurs, ou leaders pour utiliser un anglicisme aux allures savantes, se féliciter de cette magistrale prévision et se réjouir de futurs fructueux débats éventuels avec ces penseurs surgis de nulle part.
Or, que constate-t-on après trois mois de manifestations bruyantes et déliquescentes ? Rien, sinon la mise en lumière de deux ou trois fascistes assortis d’autant de crétins et de nombreuses crapules racistes, de casseurs inconscients et de discoureurs dysentériques dont la pensée est une logomachie sur ce que doit être la démocratie.
Et je me demande qui sont les plus à plaindre : ces nouveaux meneurs à la vision étroite ou ces hiérarques anciens devenus sophrologues ?
Les révolutions des peuples sont affaires sérieuses et, décidément, n’ont rien à voir avec cette espèce de mascarade, d’agitation débridée, déstructurée qui n’aboutira qu’à ce phénomène : desservir ceux qui croyaient pouvoir en bénéficier.
Et qui, manifestant à bon droit, obtinrent ce qu’ils réclamaient.
10 février 2019 § Commentaires fermés sur Deux anecdotes manichéennes § permalien
Désœuvré l’autre jour, je feuilletais les pages virtuelles qu’offre internet. Outil fantastique à qui sait le dominer sans s’abandonner à l’accoutumance telle une drogue. Nous avions autrefois et encore la télévision dans les images de laquelle beaucoup se sont noyés. À chaque époque les inventions, les progrès ont su jouer ces rôles de succédanés d’existence où des générations se sont perdues alors que d’autres ont su y trouver les chemins menant vers de nouveaux horizons.
Il ne peut en être autrement, l’intelligence humaine étant duale, partie progressiste, partie réactionnaire.
Naviguant donc sur cette mer où derrière chaque vague scintillent de multiples perles, alors que je ne cherchais rien, faisant preuve ainsi de sérendipité, je tombais sur les premiers numéros du journal Détective. Les premières parutions datent de 1928, désormais numérisées par la BiLiPo, établissement dédié aux littératures policières.
Deux entrefilets captèrent mon attention.
Le premier, dans le numéro 1 du 1er novembre 1928, rapportait l’exécution dans la cour de la Santé d’un nommé Charrier qu’assistait l’aumônier qui gémissait, sanglotait en priant pour le condamné qui lui répondit que ça n’en valait pas la peine. À peine la tête roulait-elle dans le panier que l’aumônier, se séchant les yeux, se tourna vers les journalistes leur demandant, dans leurs comptes rendus, de ne pas estropier son nom qui s’écrivait avec deux » s « .
Étonnant qu’un homme de Dieu puisse s’émouvoir de son nom écorché plus que de voir son prochain coupé en deux. Ce devait pourtant être une âme charitable et compatissante comme le recommande la religion qu’il était censé représenter.
Le second, dans le numéro 9 de décembre de la même année, relatait le dilemme d’un juge d’instruction du tribunal de Versailles qui, après avoir fait écrouer une femme ayant avoué plus de trois cents avortements, n’osa aller plus avant dans ses investigations, non tant par crainte de manquer de place dans la salle d’audience d’un tel procès éventuel, mais tout bonnement parce que les clientes de la matrone (au sens ancien de sage-femme) étaient issues de la haute couture parisienne ainsi que du monde artistique, certaines étant les plus grandes vedettes théâtrales du moment.
Le juge Roussel fit-il preuve de compréhension pour les unes et d’aucune compassion pour l’autre ? ou avoua-t-il ainsi son impuissance à juger ? Je penche volontiers pour la première hypothèse.
Je me disais que si les temps malgré tout transmutent, progressent, l’âme, ou l’esprit, ne connaît guère le changement et demeure étrangement imperméable à toute évolution.
À moins qu’on ne l’y oblige par la loi. Ce que certains prétextent pour se donner les raisons de manifester une opposition surannée, cependant dangereuse dans son manichéisme primaire.
29 janvier 2019 § Commentaires fermés sur Un lundi au Père-Lachaise § permalien
Paris, lundi, premier jour d’octobre, celui où Aznavour a cessé de chanter ; le soleil resplendit sur l’hôpital Tenon. J’attends celui que j’ai accompagné ici pour des examens de contrôle.
Dans le minuscule square Édouard Vaillant, serein face à l’hôpital qui fourmille d’ambulances, une colonne de Playmobil® défile devant moi ; d’une école maternelle proche, des enfants vêtus de gilets jaune fluo que leurs institutrices encadrent. Tous identiques ! Ils préfigurent déjà les cohortes qui envahiront les rues le mois prochain ; tout le monde l’ignore encore, particulièrement ce passant qui s’affale sur un banc ; s’exposer au soleil, un rêve de vacancier que cet automne printanier permet.
Longue est l’attente de la fin des contrôles médicaux. Il me faut bouger.
Je me dirige vers le Père-Lachaise, cimetière de l’est créé en 1803 que les parisiens baptisèrent du nom du confesseur de Louis XIV, tapi à quelques centaines de mètres, derrière les immeubles qui cernent le square de ce quartier de Ménilmontant.
Le calme et le silence m’accueillent dès la barrière qui protège l’entrée franchie. Soixante dix mille tombes réparties sur quarante trois hectares. Une ville avec ses rues, voire ses quartiers qu’on appelle ici divisions. L’investissement y est cher ; les places vacantes sont inexistantes dans cet espace clos, limité.
Aucune tombe ne ressemble à une autre. Dans ma recherche de morts illustres ou de monuments classés je croise deux petites vieilles qui me disent bonjour ; l’une s’active avec amour à nettoyer la sépulture que l’herbe envahit, l’autre porte des fleurs vers celle de son défunt. Avant de les y rejoindre.
Peut-être m’eussent-elles renseigné si je les avais interrogées, car je m’étonne de trouver le tombeau de Marcel Proust alors que je croyais être à l’opposé, cherchant celui de Jules Romain. Sur le plan affiché à l’entrée, le nord n’est pas indiqué ; je me suis égaré.
Si tous les morts qui reposent en ce lieu désormais se ressemblent, ignorent la hiérarchie, l’appartenance, la religion, D’Abélard et Héloïse transférés ici aux époux de mes petites vieilles, du mur des fédérés à la stèle des victimes du Rio-Paris, des croix dressées à l’étoile de David et au croissant musulman, les monuments qui les protègent respectent encore les différences que vivants ils déployaient. De la plus simple, comme celle de la famille Proust, à celle tarabiscotée, prétentieuse, monumentale, tous les genres s’affichent aux regards et manifestent, expriment, non pas forcément la richesse, mais la manière d’être, de penser, de celui ou celle qui repose sous la pierre, ainsi que le style de son époque.
Quittant l’endroit après deux heures à battre le pavé le long des étroits chemins qui séparent les caveaux tête-bêche, je me disais que nos cimetières acquéraient ce caractère banal dû à l’uniformité. Le granit ou le marbre, rose ou bleu, qui les envahit désormais ne permet plus de distinguer la tombe d’un cœur noble, simple, de celle du prétentieux. Ici également cette tendance me surprend, telle la tombe banalement moderne de Colette entre deux de pierre.
Reflets de notre société, des enfants de maternelle affublés de ces gilets jaunes censés les protéger aux tombes identiques, nous bâtissons un monde d’une platitude désespérante, sans âme, sans nuance.
Sans idéal en définitive, sinon celui de ressembler à son voisin, vivant comme mort.