1 avril 2010 § Commentaires fermés sur Modiano – LHorizon § permalien
L’une de mes sœurs me demandait l’autre jour, ayant aperçu le dernier bouquin de Modiano, « L’horizon », refermé sur la table, ce que j’en pensais.
C’est Modiano, répondis-je, il ne se passe rien et le héros déambule dans l’histoire, sans doute comme Modiano dans la vie, avec nonchalance.
En fait c’est un livre de souvenirs et l’on sait que les souvenirs sont évanescents. Mais ils vous ont un parfum d’une suavité langoureuse dont on aime les quelques touches pulvérisées sur l’esprit. Modiano, c’est cela, un parfum d’écriture qui ne vous entête jamais mais qui reste présent longtemps après que les dernières lignes se soient évanouies sans que l’on ait bien su de quoi il était composé.
On cherche, comme Bosmans la femme qu’il côtoya (aima?) jadis, cette Margaret Le Coz dont on ne sait rien, ou presque, mais qui laissa sur les lieux qu’elle traversa, Berlin, la Suisse, Paris, son parfum d’incertitude.
Comme un souvenir pour horizon.
« L’horizon » – Patrick Modiano – Gallimard – 16€50
21 novembre 2009 § Commentaires fermés sur Camus au Panthéon § permalien
Camus au Panthéon ? Quelle idée saugrenue, d’autant plus émanant d’un homme pour qui la littérature est source d’ennui. Gageons que Sarkozy n’a pas même lu un chapitre d’un seul livre de l’écrivain. S’il s’en était donné la peine il saurait ce que représentait pour le gisant de Lourmarin, cette apothéose de l’emphase.
Prix Nobel, il ne le refusa pas à l’inverse de Sartre, mais s’interrogea sur sa pertinence en ce qui le concernait, ayant pour sa part, s’il avait été sollicité, choisi Malraux sur lequel il avait eu projet d’écrire un essai. Dans son discours de Suède, dédié à Louis Germain, l’instituteur qui avait su discerner chez l’enfant pauvre d’Alger tout le possible dont il était porteur en le présentant à l’examen des bourses en mai 1923, Camus précise que l’artiste ne peut vivre hors de son temps, de son époque et plus encore : » Je n’ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d’être, à la vie libre où j’ai grandi. «
Mais de cela il ne s’agit que de broutilles, comme ce le serait de dire qu’il était libertaire jusqu’au bout des ongles, soutane dont l’affublent tous ceux qui n’ont rien d’autre à dire.
Épris de justice et de liberté, oui, jusqu’à rejeter toute idée de vengeance violente : » A la haine des bourreaux a répondu la haine des victimes « dit-il à propos des exactions commises après la Libération, sur les collaborateurs ; » C’est à l’ennemi qu’on cède encore… il faut guérir ces cœurs empoisonnés… « . Si c’est cela être libertaire pour eux, je leur laisse bien volontiers le vocable, car le baptisant ainsi ils reconnaissent implicitement la normalité des crimes commis au prétexte de rendre justice. L’homme révolté n’est pas libertaire, il s’insurge contre la bêtise et l’inhumaine condition que, d’un bord ou de l’autre, les hommes font vivre à d’autres humains. Tout simplement. Il s’agit ni plus ni moins que d’être juste.
Et puis, que Sarkozy veuille à nouveau récupérer l’image d’un humaniste qui, n’en doutons pas une seconde, l’aurait combattu, n’est en rien faire preuve d’admiration pour l’œuvre et l’auteur, mais participe d’une vulgarité politicienne éhontée et d’un orgueil imbécile à l’opposée de l’humilité dont était pétri Camus.
Qu’importe ? questionneront quelques uns, après tout c’est un hommage que la France rend à l’un de ses écrivains et que ses ossements reposent sous la terre du Lubéron ou sous les voûtes lugubres du mausolée qu’on aperçoit à gauche en remontant la rue Saint-Jacques, il doit s’en moquer aujourd’hui qu’il n’est plus.
Pas si sûr. » Mon royaume tout entier est de ce monde « , écrivait Camus dans Noces, et son combat était celui d’abattre les prisons de pierres que bâtissent les hommes où ils claquemurent leur esprit. Il n’est que de lire les dernières pages de l’essai que lui consacra jadis Morvan Lebesque le citant : » Si la seule solution est la mort, nous ne sommes pas sur la bonne voie. La bonne voie est celle qui mène à la vie, au soleil. «
Le soleil ne caresse jamais les tombeaux du Panthéon.
Les citations sont extraites de « Camus par lui-même » – Morvan Lebesque – Ecrivains de toujours – Editions du Seuil. Ainsi que de son discours de Suède pour la première de ce texte.
21 mai 2009 § Commentaires fermés sur Pierre Michon: » Les Onze « § permalien
» Les Onze » est un tableau imaginaire commandé par trois sans-culottes à l’un des peintres, tout aussi fictif, de l’atelier de David.
Michon, de son écriture évocatrice, riche et d’une pureté rafraîchissante dans ce magma de parutions qui nous envahit désormais, nous fait pénétrer dans l’univers sombre de la Terreur où les machinations, car ce tableau en est une dont on comprendra la signification à la fin de ce court récit, vous conduisaient, sans en connaître toujours les raisons, vers la guillotine. Le Comité de Salut Public ravageait les têtes avant de ravager celles de ses membres.
Ce livre, Pierre Michon ne l’aurait probablement jamais écrit sans l’intervention de son éditeur. En gestation depuis une quinzaine d’années, il ne parvenait pas à renouer le dialogue avec ses personnages. Puis un jour, par la simple interversion d’un mot au sein d’une phrase, la musique a repris son rythme. On ressent bien, lorsqu’on aborde la seconde partie de l’œuvre, le déclic qui s’est produit. Dans une récente interview Michon le précise. Lorsque Proli demande à Corentin, ce peintre limousin dont la généalogie déroulée en première partie fait corps avec celle de l’auteur, s’il veut honorer une commande, il lui pose la question, mais si elle fut purement interrogative dans un premier temps, ce qui ne satisfaisait pas l’auteur, le travail inlassable de l’écrivain porta ses fruits lorsqu’il devina que cette demande devait être également un ordre.
A la première version, » veux-tu honorer une commande, citoyen peintre ? « , succéda celle qu’on lit désormais et qui permit à Pierre Michon de poursuivre: » Tu veux honorer une commande, citoyen peintre ? »
Tout est là, une simple inversion, une infime correction et c’est l’engrenage qui reprend son mouvement pour aboutir à la création telle qu’on la souhaite, mêlant réalité et fiction, imposant à l’esprit une peinture des mœurs de cette époque trouble et cruelle, dessinant cette hydre à onze têtes jamais réunies et pourtant tant dépendantes les unes des autres. C’est cette infime différence entre un auteur et un écrivaillon qui fait que la prose captive ou non. Celle de Pierre Michon est à découvrir pour ceux qui ne le connaissent pas, à savourer pour ceux qui le lisent depuis longtemps.
Auteur à part dans les lettres françaises, presque confidentiel, il est le garant de la pureté d’une langue déliquescente qu’une invasion de textos, de SMS et autres tweet engendre. Michon ne peut qu’émouvoir les amoureux de notre culture.
Editions Verdier: » Les Onze «
14 janvier 2009 § § permalien

Qu’est-ce l’art? Ce n’est pas une copie, mais la transposition du réel dans l’imaginaire. C’est du moins la conception que j’en ai, avec sa finalité, la sublimation esthétique de l’objet qui le transcende en œuvre d’art. Hegel y voyait l’expression sensible de la vérité.
La République tchèque, pour inaugurer le début de sa présidence de l’Union Européenne, a demandé à David Cerny de coordonner l’élaboration d’une œuvre monumentale, chaque pays stéréotypé par l’un de ses artistes. L’exposition trône à Bruxelles sous le portique du Conseil des ministres.
Cerny s’est fait connaître en peignant de rose bonbon un char russe exposé à Prague, déclenchant l’ire moscovite et l’expédiant en prison. A vrai dire, il n’y avait là rien d’extraordinaire, sinon le passage à l’acte d’une intention que caressent d’innombrables adolescents en mal de s’extérioriser. Toutefois quelques unes de ses œuvres sont originales, telle celle de Venceslas, fièrement assis sur le ventre de son cheval mort suspendu par les pattes. L’iconoclaste se rit de tout. Et ma foi, si l’œuvre dégage la beauté, l’esthétisme nécessaire à la captation de cette vérité éclatant comme une évidence, enfin, dans l’esprit attentif à sa représentation, je ne trouve rien à y redire, sinon à la contempler et m’évader dans les méandres de mon imagination, palpant l’indéfinissable, subodorant l’inexprimable.
Ce que ne permet en aucun cas l’œuvre prétendue, présentée à Bruxelles. Il y a ici deux escroqueries.
La première, et sans doute la plus insignifiante, le fait qu’elle fut réalisée par Cerny lui-même, et seul, au contraire du cahier des charges que lui avait assigné le pouvoir tchèque, et accepté par l’artiste. Aucun plasticien issu des autres pays de l’Union ne participa à la création d’Entropa. Cette supercherie, banale somme toute, démontre le peu de cas que peut faire un mégalomane des contrats qu’il accepte. Les exemples sont nombreux, et notamment en politique, où les promesses émises sont rarement tenues et détournées au profit de celui qui les fit. Mais l’art ne se nourrit pas de politique, et le respect, s’il est absent de la conscience de ceux qui nous gouvernent, devrait au moins subsister dans celle de ceux qui veulent démontrer la bassesse des politiciens. Ce n’est pas en agissant à l’identique qu’on restaurera une image dévoyée de la société; c’est faire jeu égal et abaisser l’art —si tant est qu’on puisse nommer ainsi cet étalage qui ressemble à un panneau publicitaire— au rang de la moquerie, et je ne dis pas de l’humour.
La seconde escroquerie est précisément cet aspect de l’œuvre dont on voudrait nous faire accroire qu’elle se nourrit d’esthétisme. Exposer les contours de chaque pays, sauf un, la Grande Bretagne dont la place vide symboliserait sa participation aléatoire à l’Europe, en incluant dans leurs frontières la thématique qu’on leur suppose représentative, mais du niveau du caniveau, ne s’apparente même pas à la caricature, mais à la stupidité et la vulgarité. Loin de valoriser les caractères propres des peuples européens, ce panneau sans âme les ravale au rang de la médiocrité et de la mesquinerie. L’artiste qui s’exprime dans sa création met toujours une part de lui-même, y compris les caricaturistes dont quelques uns ont fait preuve de génie. Quand bien même me dirait-on qu’en aucun cas il ne s’agit d’une œuvre d’art, mais seulement la photo, le stéréotype de chaque nation, je n’y verrai toujours que le reflet d’une pensée, d’une vue plutôt, étriquée, vulgaire, racoleuse et sans aucun intérêt. Il eut été suffisant, moins coûteux et sans doute plus satisfaisant de faire appel aux enfants des classes primaires d’Europe pour obtenir une image de leur terre autrement plus représentative, symbolique, esthétique que ce néant sans poésie.
La création (?) de Cerny n’est que néant, à l’image de son artisan.