À propos de la réforme des retraites, dont on ne sait pas grand-chose encore et contre laquelle on manifeste déjà, j’entends quelques uns évoquer la nécessité de prendre en compte l’espérance de vie dans les négociations ou les propositions pour en déterminer les paramètres ; soit en fixant individuellement l’âge, sans doute, atteint pour prétendre cesser son activité, soit imposer une durée limitée pour verser le montant de la pension à laquelle une carrière donnerait droit, ne distinguant pas d’autres solutions, car, disent-ils en schématisant, les cadres vivent plus vieux que les manuels. Je ne sais laquelle de ces deux propositions serait plus débile que l’autre.
Dans l’esprit de ces théoriciens rances, la mort est sans doute prédéterminée. Ce qui est relativement vrai, mais jamais à date escomptée. Car si, le hasard étant un grand farceur, un individu pas intellectuel du tout se mettait à vivre, grâce à sa génétique ou à son hygiène de vie, plus longtemps que prévu, lui supprimerait-on alors sa pension à la date précise à laquelle il eût dû quitter les listings de la caisse de retraite ? Et à l’inverse, si par maladie, stress ou autre cause par exemple accidentelle, un second individu en rien bricoleur venait à mourir avant l’heure prédite, continuerait-on à verser à ses héritiers la maigre pension à laquelle il n’aurait pu totalement prétendre le temps imparti ?
Au-delà de ces boutades, évoquer une espérance de vie pour inclure ou non telle ou telle clause restrictive ou bénéfique, s’apparenterait à une discrimination. Ce qui, convenons-en, est à l’opposée du but recherché dans l’établissement d’une retraite universelle par points qui se veut égalitaire (égalité toute relative là encore puisque dépendante des revenus).
Les régimes spéciaux ont été conçus en fonction de la pénibilité de certains métiers. Je pense bien sûr aux chauffeurs des locomotives à vapeur, ce qui n’a plus de raison d’être, qui ont obtenu leurs avantages soutenus qu’ils étaient par de puissantes organisations syndicales. En revanche, seul dans son coin, un peu anar, ou poète tel Thierry Metz aujourd’hui décédé, le vieux maçon usé par le temps et l’effort n’a jamais bénéficié, lui, d’un régime particulier. Même si de nos jours les bétonnières sont mécanisées, le métier reste pénible à la différence du chauffeur de train. Il y a là matière à discuter, évidemment. Mais certes non en termes médicaux ou funéraires. Ce qui reviendrait à créer une espèce de « professophobie », si l’on veut bien m’accorder ce néologisme, en un mot de racisme s’apparentant à celui que l’on constate en matière religieuse ou ethnique. Avec les dérives inévitables, comme celle qui fut mienne lorsque plus haut j’opposais le chauffeur de train au maçon. Les exaspérations, rancœurs, haines, plus prégnantes qu’aujourd’hui, ne manqueront pas alors de s’immiscer dans les esprits de ceux ne bénéficiant pas des avantages des autres. Est-on d’ailleurs certain de cette affirmation qui voudrait qu’un travailleur manuel vécût moins longtemps qu’un intellectuel ? Les statistiques le prouvent nous dit-on. Tout comme, statistiquement parlant, les femmes vivent plus longtemps que les hommes ; certainement la raison pour laquelle leurs émoluments sont inférieurs à ceux de leurs homologues masculins.
Dès lors il faut aller plus loin dans l’absurdité et créer tout un tas de discriminations en fonction de l’âge d’une mort prévue par les statistiques, du sexe, de la taille, de la couleur des yeux, de la voix, de l’apparence. Les tests ADN généralisés seront pour demain à inclure dans les CV d’embauche accompagnés d’un état détaillé de nos habitudes alimentaires, sportives, amoureuses, etc. etc. Orwell avait vu juste. Quant à Thomas More, son Utopia va devenir une galéjade.
Déterminez donc les retraites en fonction de l’ADN de chacun et n’en parlez plus. Ça évitera grèves et bouchons inutiles.