Paris, lundi, premier jour d’octobre, celui où Aznavour a cessé de chanter ; le soleil resplendit sur l’hôpital Tenon. J’attends celui que j’ai accompagné ici pour des examens de contrôle.
Dans le minuscule square Édouard Vaillant, serein face à l’hôpital qui fourmille d’ambulances, une colonne de Playmobil® défile devant moi ; d’une école maternelle proche, des enfants vêtus de gilets jaune fluo que leurs institutrices encadrent. Tous identiques ! Ils préfigurent déjà les cohortes qui envahiront les rues le mois prochain ; tout le monde l’ignore encore, particulièrement ce passant qui s’affale sur un banc ; s’exposer au soleil, un rêve de vacancier que cet automne printanier permet.
Longue est l’attente de la fin des contrôles médicaux. Il me faut bouger.
Je me dirige vers le Père-Lachaise, cimetière de l’est créé en 1803 que les parisiens baptisèrent du nom du confesseur de Louis XIV, tapi à quelques centaines de mètres, derrière les immeubles qui cernent le square de ce quartier de Ménilmontant.
Le calme et le silence m’accueillent dès la barrière qui protège l’entrée franchie. Soixante dix mille tombes réparties sur quarante trois hectares. Une ville avec ses rues, voire ses quartiers qu’on appelle ici divisions. L’investissement y est cher ; les places vacantes sont inexistantes dans cet espace clos, limité.
Aucune tombe ne ressemble à une autre. Dans ma recherche de morts illustres ou de monuments classés je croise deux petites vieilles qui me disent bonjour ; l’une s’active avec amour à nettoyer la sépulture que l’herbe envahit, l’autre porte des fleurs vers celle de son défunt. Avant de les y rejoindre.
Peut-être m’eussent-elles renseigné si je les avais interrogées, car je m’étonne de trouver le tombeau de Marcel Proust alors que je croyais être à l’opposé, cherchant celui de Jules Romain. Sur le plan affiché à l’entrée, le nord n’est pas indiqué ; je me suis égaré.
Si tous les morts qui reposent en ce lieu désormais se ressemblent, ignorent la hiérarchie, l’appartenance, la religion, D’Abélard et Héloïse transférés ici aux époux de mes petites vieilles, du mur des fédérés à la stèle des victimes du Rio-Paris, des croix dressées à l’étoile de David et au croissant musulman, les monuments qui les protègent respectent encore les différences que vivants ils déployaient. De la plus simple, comme celle de la famille Proust, à celle tarabiscotée, prétentieuse, monumentale, tous les genres s’affichent aux regards et manifestent, expriment, non pas forcément la richesse, mais la manière d’être, de penser, de celui ou celle qui repose sous la pierre, ainsi que le style de son époque.
Quittant l’endroit après deux heures à battre le pavé le long des étroits chemins qui séparent les caveaux tête-bêche, je me disais que nos cimetières acquéraient ce caractère banal dû à l’uniformité. Le granit ou le marbre, rose ou bleu, qui les envahit désormais ne permet plus de distinguer la tombe d’un cœur noble, simple, de celle du prétentieux. Ici également cette tendance me surprend, telle la tombe banalement moderne de Colette entre deux de pierre.
Reflets de notre société, des enfants de maternelle affublés de ces gilets jaunes censés les protéger aux tombes identiques, nous bâtissons un monde d’une platitude désespérante, sans âme, sans nuance.
Sans idéal en définitive, sinon celui de ressembler à son voisin, vivant comme mort.